La voiture avale la route. Traverse les paysages. Cent soixante-dix kilomètres après avoir quitté Paris, c’est Vitry-le-François. Son collège. Sa jeunesse. Son maire socialiste. Tous devant la salle municipale en ce vendredi matin. Mais Vitry-le-François, c’est aussi, son ennui, sa morosité et aucune activité pour les jeunes. Enfin, Vitry-le-François – 17 000 habitants –, ce sont ses quartiers populaires, ses problèmes endémiques et ce meurtre à la une des médias, celui d’un jeune homme, le 14 juin, suivi d’une chasse au meurtrier présumé, le tout accompagné d’émeutes.

Ce vendredi, Vitry-le-François vit un autre événement exceptionnel : une visite de Rachida Dati en personne. Elle n’est pas encore arrivée, mais il y a grand monde pour l’accueillir, comme à un spectacle de guignols sur la place du marché. La ministre de la justice doit tenir une réunion publique sur la « discrimination ». Les associations du coin sont invitées. Les gendarmes des casernes alentour sont sur le qui-vive. Et le maire ronge son frein en attendant la garde des sceaux, qui peut atterrir d’une minute à l’autre. Elle effectue le déplacement en hélico.

« Même si elle ne va rien faire, qu’elle parle beaucoup, on veut la voir en vrai », s’impatiente un habitant. Les collégiens, qui sortent à peine des épreuves du brevet, ne connaissent pas Rachida Dati et s’étonnent du déploiement imposant des services de sécurité. Eux aussi veulent « la voir ». A croire qu’une star hollywoodienne va débarquer dans la ville.

Cynthia, dépitée d’avoir voté pour le maire socialiste, est une « fan » de la ministre qui « a grave la classe ». Marlène, son amie, est contente de voir toute cette meute médiatique, « ça va faire de la pub pour la ville », dit-elle. Les deux jeunes filles ont cependant un message tout autre à faire passer. La parole est à vous, mesdemoiselles : « On parle de nous dans les médias mais que quand il y a des émeutes. On ne dit pas qu’il n’y a rien à faire, que c’est la pire des villes, que les fêtes de la musique ou nationale, sont annulées à cause de ces quelques enragés qui brûlent des voitures, et il n’y a même pas un terrain de foot dans notre quartier. »

Rachida Dati atterrit enfin. Les photographes amateurs et professionnels se précipitent à sa rencontre. Le préfet, le maire, les députés des circonscriptions avoisinantes l’entourent. Les caméras filment et les badauds saluent respectueusement. La ministre donne le ton. A un pompier victime de violence en mission, elle lance : « Il n’y aura aucune faiblesse de notre part face à des voyous. » Elle répète ce qu’elle vient de dire à un père qui a perdu sa fille battue à mort par son mari en 2005 : « Nous ne faiblirons pas devant des voyous. Il n’y aura aucune faiblesse face à de tels actes. »

Outre les témoignages de victimes cherchant un peu de réconfort, qu’ils ne trouveront pas, auprès de la garde des sceaux, il y a les questions-réponses. Certains demandent si « l’on doit s’en tenir à la répression », d’autres s’inquiètent de l’avenir, « quand il n’y aura plus les dizaines de cars de CRS ». Une énième fois, les réponses de la ministre sont cousues Dior au millimètre. Le single « aucune faiblesse, aucune excuse » tourne en boucle. Un avocat précisera tout de même que la carte judiciaire, mise en place par Rachida Dati, a aussi fait des ravages à Vitry : la ville est privée de tribunal.

Après avoir annoncé l’indemnisation des voitures brulées et détériorées, et signé une convention, la ministre pense avoir fait le tour de la question. Oubliant de se rendre dans les quartiers endeuillés par le drame. Oubliant de saluer les jeunes sans emploi, perdus dans une solitude profonde. Quand soudain, sur un coup de tête et sur la route du retour, Rachida Dati décide d’aller dans une cité populaire.

Direction la Rome Saint-Charles, si souvent ignorée. Ses habitants se pressent autour de la ministre. « Il n’y a qu’un seul commerce, c’est le Super U où ils nous prennent que comme vigiles, rien d’autre ! » s’exclame un jeune. Les photos seront belles. « C’est la merde cette cité », glisse un ado. La ministre répond, le maire, on le comprend, c’est sa ville qu’on critique ainsi, la soutient : « Telle institution existe, tel recours est possible. »

D’autres comme Rachid, la quarantaine et « habitant depuis toujours », mettent en cause la suppression par le nouveau maire du « seul bus qui reliait la cité aux autres villes de la région comme Saint-Dizier ou Chalons-en-Champagne ». En pleine période de hausse du prix du pétrole et à un moment où l’on promet le désenclavement des cités. Les jeunes assurent qu’ils souffrent de la « désinformation » et du peu d’intérêt dont ils font l’objet dans la ville. Mais c’est déjà l’heure des au « au revoir madame ».

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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