« Tu bois un verre de thé ? » D’un geste de la main, Muhammad m’invite à m’asseoir sur le seul siège de la pièce, une chaise de bureau, vestige du matériel de l’entreprise Vandamme. Depuis juillet, il occupe l’un des bâtiments de cette ancienne usine de recyclage de métaux avec des compatriotes soudanais. La pièce est étroite. Plusieurs couches de couvertures humides posées à même le sol font office de lit. Les rayons du jour peinent à éclairer la pièce à cause des vêtements accrochés à la tringle. Ils sont huit en tout à s’entasser dans ce 9m². Ils se partagent la nourriture, les cigarettes et les portables. « Les téléphones sont essentiels pour garder un lien avec la famille restée au pays », affirme l’un des exilés.

Ils ont entre 20 et 28 ans. Le plus âgé, c’est Muhammad. Ses bouclettes tressautent à chacun de ses mouvements de tête. Son large sourire ne le quitte jamais, même lorsqu’il raconte les moments difficiles. Son périple commence dans un village près de Khartoum, au Soudan. Lui, l’aîné de la fratrie, quitte le foyer familial en promettant à sa mère et ses frères de leur venir en aide rapidement. Il parcourt le Sahara. « J’ai passé deux mois à marcher. J’ai vu des personnes mourir de soif dans le désert ». En Libye, il faut surtout éviter de tomber sur « des hommes armés dangereux qui font du trafic d’êtres humains ». Le conflit libyen a libéré les flux et aujourd’hui le passage par le pays se fait de façon beaucoup plus intensive qu’il y a un an. « Le moment où la mort m’a approché au plus près, c’était lors de la traversée en bateau. On était des centaines, on en a perdu certains en route », raconte Muhammad. Après l’Italie, la France. Enfin. Au départ, il voulait, comme tous ses compagnons d’infortune, rejoindre la Grande-Bretagne. L’eldorado pour la majorité d’entre eux. « Il y a davantage d’opportunités de travail. Et puis on maîtrise mieux l’anglais que le français ! [Ndlr : l’anglais est la deuxième langue du Soudan] », explique l’un des réfugiés, en tirant sur sa cigarette.

Attendre sa chance

Dans le camp, Muhammad le sait, les migrants qui veulent rester en France sont rares. « Même mes amis ne comprennent pas ce choix », plaisante-t-il. Et pour cause, très peu de demandes d’asile sont accordées chaque année par l’État français. « La procédure peut prendre deux à trois ans, selon Philippe Wannesson, militant associatif et auteur du blog Passeurs d’hospitalités. Les demandeurs sont censés être pris en charge par l’État, être hébergés dans un centre, mais c’est très rarement le cas ». Entre la politique dissuasive de la France et celle de la fermeture des frontières menée par la Grande-Bretagne, peu de choix s’offrent aux migrants. Ici, l’occupation principale est d’attendre. Attendre sa chance : un visa français ou un passage en Angleterre. « Je suis bloqué à Calais depuis six mois. J’ai essayé plusieurs fois de passer en Angleterre mais je n’ai pas eu de chance. C’est trop dangereux », relate Muhammad. Depuis qu’il a déposé sa demande d’asile, il ne rate aucun de ses rendez-vous administratifs et met toutes les chances de son côté pour obtenir le fameux Graal.

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En attendant, il passe son temps dans le squat Vandamme dans des conditions de vie misérables qu’il cache à sa famille. Quitter une pauvreté pour en trouver une autre. « J’évite de sortir. Je joue au foot à la Citadelle [Ndlr : des matchs entre migrants sont organisés tous les dimanche s depuis deux ans] mais je n’irai pas aujourd’hui, je me sens très fatigué ». Si Muhammad et ses camarades rasent les murs à Calais, c’est pour éviter la police. Les sans-papiers sont régulièrement victimes de violences et de harcèlement. Le plus jeune des Soudanais sort de son silence pour la première fois depuis le début de l’entretien : « La police nous traque. Partout où nous allons, ils viennent nous chasser. Ils nous expulsent à chaque fois que l’on trouve un lieu où dormir ». Par peur et par manque de preuves, très peu de clandestins décident de porter plainte. Le jeune migrant reprend en arabe : « Ils m’ont gardé pendant des heures, et pour pouvoir sortir, je devais signer un document que je n’ai pas compris ». Il sort un papier de sa poche et me demande de lui faire la traduction. Il s’agit d’un avis d’expulsion. « On ne demande qu’à vivre en paix », soupire Muhammad.

Leïla Khouiel

Retrouvez le précédent reportage : Calais : « les chiens vivent mieux que nous »

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