En introduction de « Mes étoiles noires », Lilian Thuram pose une question à un public d’écoliers : « Quand avez-vous entendu parler pour la première fois des Noirs dans votre cursus scolaire ? » Lui, Thuram, la première fois qu’il a entendu parler des « Noirs » dans son cursus scolaire, c’était à l’école primaire, à propos de l’esclavage. Et cela avait créé un malaise dans sa classe. Ses camarades posaient un regard nouveau sur lui, l’enfant noir. L’esclavage, tel qu’enseigné à l’école, sonnait comme une domination des Blancs sur les Noirs, et cela suscitait alors des interrogations et nourrissaient des sentiments. Fallait-il avoir pitié du petit Thuram ? Fallait-il perpétuer cette domination ? Fallait-il aborder d’autres formes d’esclavage, parmi d’autres populations ? 

Si l’on ne retient des Noirs que leur asservissement, il est « normal » d’imaginer leurs perspectives d’avenir comme inférieures à celles des autres, en l’occurrence les Blancs. Comme si ce statut d’infériorité était dans les gènes, et que la « réussite », chez les Noirs, ne faisait pas partie des possibles.

Or des Noirs ont réussi, et continuent de réussir. Mais ça, les enfants noirs eux-mêmes, dans les quartiers défavorisés, l’ignorent souvent. C’est cette ignorance que Lilian Thuram, le footballeur champion du monde en 1998, a essayé de combler dans « Mes étoiles noires ». Lilian et ses étoiles, c’est un peu comme si un grand sage venait nous chuchoter à l’oreille les récits d’illustres personnages noirs qui ont marqué l’histoire. Cela rassure les uns, informe les autres.

Si je vous demande qui est l’auteur de : « La cigale ayant chanté tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue », assurément, vous me répondrez que c’est La Fontaine. Que nenni ! La fable « La cigale et la fourmi » vient d’Esope (VIIe-VIe siècle avec J-C), un sage de la Grèce ancienne. Esope, ce Nubien noir de Grèce, laissa derrière lui 127 fables en prose que La Fontaine reprit au XVIIe siècle sous forme de vers.

Plus loin, on apprend l’histoire des pharaons égyptiens sous un angle différent. Les rois d’Egypte sont le fruit d’un croisement de cultures entre la Nubie et l’Egypte, de grandes civilisations décrites comme deux sœurs jumelles. L’une ayant constamment besoin de l’autre, cela engendra une mixité de cultures et de savoirs. Un jour, l’Egypte a faibli et la Nubie l’a dominée, marquant le début d’une grande dynastie de pharaons noirs, écrit Lilian Thuram.

Entre aussi dans l’Histoire, des femmes africaines aussi courageuse que fières : une princesse angolaise du XVIIe siècle, Anne Zingha, et une battante congolaise illuminée par sa foi, Dona Béatrice, du XVIIe siècle également, Anne Zingha, entre autres « oubliés », retiennent l’attention du lecteur. Dignes, rusées et nobles. Leur intelligence décontenance et désempare l’ennemi. Leur calme et leur sagesse relèvent du mystère.

Les étoiles ne sont pas qu’artiste ou issues de la noblesse. Les étoiles sont aussi des personnages politiques comme Frédérick Douglass, Toussaint-Louverture, Martin Luther King, Aimé Cesaire, Nelson Mandela, Camille Mortenol (le premier Noir qui intégra Polytechnique à la fin du XIXe siècle), aujourd’hui Barack Obama. Et parmi eux, des scientifiques, inventeurs, chercheurs, philosophe, sportifs et sportives, écrivains, poètes ou simple individu.

Cette dernière « famille » – celle des simples individus – est la plus brillante de toutes les étoiles. Elle a subi l’humiliation, le déshonneur, la souffrance, l’injustice, la guerre, la torture, la mort et le lynchage… Blessée et salie à vie, elle laisse jusqu’à aujourd’hui un souvenir amer et violent à ses descendants. Le récit de ce douloureux combat n’a pas été transmis comme il le fallait. Aujourd’hui peut-être, cette famille-là serait-elle déçue par ses petits enfants…

Silvia Sélima Angenor

Lilian Thuram : « Mes étoiles noires : De Lucy à Barack Obama », éd. Philippe Rey, 399 pages.

Silvia Sélima Angenor

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