Une salle d’attente de docteur. Un début d’après-midi. Trois femmes, deux d’une petite trentaine d’années, une autre plutôt proche des 70 ans. Un jeune adolescent de 11 ou 12 ans. J’entre. La conversation est animée : la dame âgée parle de Dieu, qui a porté sa croix et que nous autres devons suivre son exemple. Elle dit que le monde va mal, qu’il y a des guerres, des déménagements et des divorces…

Une des deux jeunes femmes lui demande si sa religion interdit le divorce. Elle répond que seule la mort peut mettre un terme au mariage. La jeune femme trouve cette approche un peu excessive, selon elle le mariage, « c’est la loterie », soit on tire le bon numéro, soit on tire le mauvais, et parfois il faut recommencer plusieurs fois pour passer du mauvais au bon numéro. Et surtout, c’est seulement en l’essayant qu’on sait si le numéro qu’on a tiré est le bon ou le mauvais.

« Les hommes sont hypocrites, explique-t-elle, ils vous offrent des fleurs, sont gentils avec vous, mais quand vous vivez avec eux, c’est plus pareil. C’est comme ça que vous découvrez vraiment comment ils sont. Avant c’est pas possible, pas vrai ? » Elle me lance des œillades et des sourires complices. La jeune femme dévoile un peu plus d’elle-même : elle a été mariée, son mari d’alors n’était pas très gentil avec elle (plus tard elle dira, mais très furtivement, qu’il la battait).

Elle a divorcé et s’est remariée avec un homme, lui-même divorcé, avec qui elle a deux enfants en bas âge qui sont heureux et épanouis. Ce qui n’aurait pu être le cas si elle était restée avec son précédent mari. Mais son interlocutrice n’en démord pas, pour elle le divorce est la pire des choses. Elle continue à parler de Dieu, qu’il faut porter sa croix. Elle explique que Dieu a parlé à l’homme, et pas à la femme, et que la femme doit donc obéir à l’homme.

La jeune femme n’est pas séduite par cette explication qu’elle trouve là encore un peu excessive. Elle lance un « et moi qui croyais que notre religion était un peu dure…. ». Bien sûr, la femme plus âgée explique que l’homme doit suivre les préceptes de Dieu et être gentil avec la femme, mais la jeune femme fait remarquer que ce n’est pas toujours le cas, comment faire alors, si on ne peut même pas divorcer ? Doit-on supporter les violences ? La femme âgée ne répond pas mais continue sa diatribe contre le divorce. La jeune femme, dans un souci de compromis, conclut que chacun pense différemment et qu’il faut respecter les croyances personnelles.

Elle me demande mon opinion. Je dis que je suis d’accord avec elle, que chacun est libre de croire et de penser. Justement elle veut savoir ce que je crois. Je lui précise donc que je suis athée, que je ne crois pas en Dieu. L’autre jeune femme, jusque-là silencieuse mais qui semble malgré tout soutenir l’argumentation de sa jeune voisine, entre dans la conversation : « Ah oui, et il y aussi les laïcs, qui ne croient en rien. » Je réponds que, pour le coup, il s’agit surtout pour les laïcs de distinguer espace privé et public et de situer la religion dans le premier. Sans entrer plus avant dans le débat, j’ajoute que personnellement je crois en plein de choses, mais pas en Dieu.

La première jeune femme continue : « En fait, les athées, ils croient en ce qu’ils voient. » Je n’ai pas le temps de répondre car la femme plus âgée reprend en main la discussion en disant que, elle, elle voit Dieu et que Dieu est partout.

Et la conversation continue ainsi. Les œillades complices avec la jeune femme d’un côté, les sourires partagés avec le jeune garçon de l’autre, spectateur comme moi de cette scène inattendue mais animée et captivante. La femme plus âgée continue de raconter sa philosophie de vie où il est souvent mention de la croix qu’il faut porter. La jeune femme est un peu étonnée, car elle dit que son fils va dans une école catholique et qu’heureusement, on ne lui a jamais dit tout ça. La discussion bifurque sur la question de l’éducation. Pour la dame âgée, il faut expliquer aux enfants que Dieu est amour, les éduquer dans ce sens. Pour la jeune femme, il ne faut pas les endoctriner.

Petit à petit, je comprends que les deux femmes se connaissent, que la plus âgée est la propriétaire de logements de différents membres de la famille de la plus jeune. La plus âgée se lamente alors que sa fille n’est toujours pas mariée (il s’avère que c’était là le déclencheur de toute la conversation). « Elle a quel âge ta fille ? lui demande la jeune femme. 48 ans, répond l’autre.Et tu crois qu’à cet âge-là, elle peut facilement trouver un homme qui n’a jamais été marié ? Mais je lui dis à ma fille qu’à son âge, elle ne peut pas vouloir trouver un homme célibataire », explique la plus vieille.

La scène se passe quelque part dans Bruxelles. Les deux jeunes femmes sont voilées. La femme plus âgée est italienne.

Sandrine Roginsky

Sandrine Roginsky

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