Elles se taquinent, racontent leurs derniers exploits avec modestie et rient, beaucoup, en s’étirant. Difficile de les suivre lorsqu’elles se mettent à courir sur les pistes du stade du Moulin Neuf d’Aulnay-sous-Bois. Elles, ce sont Thiziri Daci, Aulnaysienne de 19 ans, et Léna Kandissounon, 18 ans, arrivée dans la ville de Seine-Saint-Denis à l’âge de 3 ans. Toutes les deux évoluent au Dynamic Aulnay Club mais dans des disciplines différentes : le saut à la perche pour la première, le 400 mètres pour la seconde. « Notre emblème, c’est le renard. On l’a en gros sur notre maillot, on se fait charrier par tout le monde ! » plaisante Thiziri.

Il fait froid ce mardi soir mais il s’est arrêté de pleuvoir. Un groupe de jeunes garçons jouent au basket un peu plus loin, d’autres ont opté pour le ballon rond dans le city-stade. Les championnes, elles, décident de poursuivre l’échauffement à l’intérieur du gymnase. Elles y retrouvent leurs entraîneurs respectifs, Amandine Homo et Florent Estienne. La maman de Thiziri, Malika Daci, n’est jamais bien loin. « Tant que nos enfants sont là, ils ne sont pas ailleurs », souffle-t-elle, en faisant allusion aux derniers événements qui ont secoué la commune suite à l’affaire Théo.

Je voulais savoir ce que ça faisait de tomber de haut

Il suffit de les observer quelques minutes pour être subjugué. Très matures pour leur âge, Léna et Thiziri mènent des études à l’université en parallèle à leurs activités sportives. La première suit un cursus dédié aux sportifs de haut niveau à Sciences Po Paris, la deuxième est en Licence de géographie à Paris Diderot. « Je voudrais faire de l’urbanisme environnemental, les questions liées au climat m’intéressent », souligne la jeune perchiste, d’une voix douce et posée. « Elle a toujours aimé les sciences », appuie la maman. Sa routine est bien réglée, entre les études et les entraînements ».

Thiziri Daci, 19 ans, championne de France de saut à la perche, Aulnay-sous-Bois

Le sport est arrivé très tôt dans la vie de Thiziri. Il faut dire que c’est une affaire de famille, entre la sœur en Staps qui fait du foot américain à La Courneuve, le frère, physicien, qui pratiquait le water-polo, l’autre sœur, psychomotricienne, adepte de danse orientale, et enfin la maman, coach fitness. « J’ai commencé l’athlé il y a 11 ans, le saut à la perche il y a 9 ans », raconte la touche-à-tout. Depuis, elle accumule les médailles et les coupes, en fait, elle ne les compte même plus. « Elle a atteint ce niveau car c’est une bosseuse », justifie Amandine Homo, qui l’entraîne avec Patrice Court. Championne de France junior en 2014 et cinquième aux Jeux Olympiques de la jeunesse en Chine la même année (« les JO pour les petits ! »), la sportive s’envole à 4 mètres 20, son record. Pourquoi le saut à la perche ? « Je voulais savoir ce que ça faisait de tomber de haut », explique-t-elle. « Elle est juste folle ! » répond sa camarade, Léna, à ses côtés.

Cette dernière, moins timide, domine la discipline au niveau national. Celle qui fait du 400 mètres depuis 9 ans, « comme Marie-José Perec », son modèle avec Alysson Félix, athlète américaine, est trois fois championne de France et une fois vice-championne de France. Mais pas encore de titres internationaux. « Le niveau international sur le 400, c’est un truc de malade ! » lâche-t-elle, en refaisant sa queue de cheval. Contrairement à Thiziri, Léna ne sait pas encore ce qu’elle veut faire plus tard. « Ce qui est bien à Sciences Po, c’est que c’est large, j’ai le temps de réfléchir », souligne-t-elle.

On ne ressent pas au quotidien ce qui est décrit dans les médias

Le gymnase se remplit peu à peu. Tous les âges sont représentés. « Aulnay est une ville très sportive, rapporte Florent Estienne, coach de Léna. Je n’ai jamais vu autant de monde dans les tribunes par exemple. Beaucoup de champions viennent d’ici, il y a une espèce d’âme sportive ». Le slogan de la municipalité, « Aulnay, terre de champions », se confirme avec Thiziri et Léna.

Léna Kandissounon, 18 ans, championne de France 400 mètres, Aulnay-sous-Bois.

Les deux Aulnaysiennes se croisent souvent lors de compétitions, en France mais aussi en dehors des frontières hexagonales. Lors de ces rencontres, certaines de leurs concurrentes leur demandent si « ça n’est pas dangereux de vivre à Aulnay et en Seine-Saint-Denis ». « On nous dit : ‘Ah c’est chaud Aulnay !’ ou alors ‘tu n’as pas peur de sortir de chez toi ?’ raconte Léna, qui habite dans le quartier du Vieux-Pays. Je préfère en rire ». « Ils ont à l’esprit l’image d’Aulnay véhiculée par les médias. C’est dommage », poursuit Thiziri. « On ne ressent pas au quotidien ce qui est décrit dans la presse, surenchérit Malika Daci. À Aulnay, il y a une jeunesse extraordinaire qu’il faut encourager, et sur qui on peut compter. Il faut éviter de nous stigmatiser ».

Les athlètes, elles, sont très fières de leur commune. « J’aime sa diversité, c’est ça qui est beau et qui est cool à Aulnay », décrit Léna, qui doit retrouver son coach pour l’entraînement. Car les compétitions se poursuivent. Prochain rendez-vous le 11 mars, à Niort pour Thiziri, qui, on l’espère, reviendra avec la coupe de France. Puis cet été, les championnats d’Europe espoirs. Les deux battantes comptent bien porter haut et fort les couleurs de leur ville.

Leïla KHOUIEL

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