Après le RSA, pour vous « public chéri, mon amour », j’ai testé les Assedic. Seront-elles plus fiables que le RSA ? La fleur au fusil, la rosette à la boutonnière (une fausse que m’a refilée mon grand-père, héros ordinaire et inconséquent puisqu’il a refusé de partir à la guerre), je m’en vais donc visiter ce funeste monument. Le parcours du parfait précaire est jonché d’obstacles insurmontables si l’on ne s’est armé auparavant de patience, d’humour et de dérision.

Après m’être acquitté d’une convocation en bonne et due forme auprès d’une hôtesse du standard téléphonique, qui jugeait plus utile de l’envoyer par mail plutôt qu’au courrier, puisqu’« avec la poste, disait-elle, on n’est jamais sûr ». Après tout, si on a un ordinateur et qui plus est internet, faudrait vraiment être nase pour ne pas avoir une imprimante, eh bien je fais encore parti de ces cons…

Bref, le D-day, convoqué à 14 heures, l’office est relativement vide, une chance. L’accueil de cette gargote est sommaire mais efficace : « Monsieur, je vous invite à regarder un petit film de 10 minutes, après je vous remets un ticket. » D’un ton posé je lui réponds alors : « Est-ce vraiment obligatoire ? – On se voit dans dix minutes », esquisse-t-elle le dos tourné.

A peine le temps d’entamer une autre réponse, la rombière s’en retourne donc avec son amie de l’accueil afin de finir la conversation sur sa robe rouge, qui selon sa collègue lui seyait particulièrement bien, voire, était de « circonstance ». Etant un insoumis par nature, je décide de bouder le téléviseur, qui sermonnait le chômeur sur les démarches à suivre, et préfère me gratter le nez. Juste après avoir attaqué le sinus gauche, qui a bien changé depuis quelques années, les élucubrations débilitantes du poste télé cessent.

« J’ai été très sage, je peux avoir un ticket. – Oui, c’est le 35, attendez votre tour, ça s’affichera sur le panneau », me réponds la mécréante qui devait avoir oublié son sourire sur sa photo de mariage. J’attends donc mon tour, oubliant si j’étais venu pour déclarer une fin de contrat ou acheter 2 kg de filets de maquereaux. Le panneau indique le numéro 29, j’attends donc et termine mon sinus gauche en attendant qu’un bip me réveille et m’indique d’aller au bureau numéro 22.

Guy m’accueille alors d’une poignée de main timide et précautionneuse, eu égard à ces temps de pandémie où n’importe quelle saloperie circule. Je m’assois à son invitation et pressens déjà que cela risque d’être long. D’une main tremblante et inadaptée à son clavier, ce grand rouquin commence à me faire rentrer dans des cases que j’ignore. J’essayais alors de lui faire comprendre que je travaille aussi à côté et qu’il s’agit donc d’un cas « particulier ». « Je complète le fichier et je suis à vous », me répond-il.

Me voilà donc rassuré. Guy fait manifestement partie de ses gens mono-tâche, incapable de se concentrer sur deux choses en même temps, perdre le fil du processus doit constituer pour lui une faute professionnelle grave. C’est pourquoi Guy s’est acharné à ne pas m’écouter avant d’avoir fini. Qu’importe, j’attends une nouvelle fois que son logiciel veuille bien infirmer tous ces clics et autres numéros.

« Je vous explique maintenant la démarche à suivre, me dit-il. – Oui mais, comme je vous le disais tout à l’heure, je travaille à côté, mais j’ai terminé mon contrat qui courait depuis trois ans. – C’est à dire ? » Aïe, l’épreuve est ardue. Guy me regarde semblable à une poule qui viendrait de trouver un couteau. Un de ses regards qui en dit long sur la nature des connexions entre le nerf optique avec les neurones et autres synapses. « Je conserve un salaire, en fait pour être clair, j’ai une activité réduite conservée (terme que m’avais auparavant soufflé un professionnel). »

Si vous n’avez jamais surpris un pigeon trouver un sandwich entier sous un banc, vous ne comprendrez jamais le bonheur que Guy et son logiciel ont pu ressentir. A cet instant précis, Guy est heureux et soulagé. Je viens d’utiliser son jargon, celui-là même qui correspond à une case et qui ne nécessite pas de tout reprendre. Alors qu’il fait à nouveau chauffer son clavier, d’une main toujours aussi imprécise et tremblante, il me répond avec toute la compassion qu’un citron doit à une huître : « Non mais j’ai bien compris, vous avez une activité réduite conservée. »

Me voilà sauvé, à condition de ne pas oublier de fournir les 678 documents nécessaires pour étudier l’ouverture de mes droits. En le quittant, je me résous à lui poser une dernière question : « A combien puis-je prétendre ? – Je ne sais pas, on doit attendre le reste de vos papiers pour vous le dire. – Oui, mais de manière générale, j’imagine que le calcul des droits n’est pas aléatoire. – Ce n’est pas moi qui calcule, je ne peux pas vous le dire. » Je le salue sur le pas de son bureau, le laissant lui et son logiciel à sa triste journée. Mais si cette visite aux Assedic devait s’arrêter en si bon chemin, la journée n’en serait que moins drôle.

Alors que je remplis un questionnaire destiné au Pôle emploi, anciennement l’ANPE, m’interrogeant sur mon réel devenir professionnel, une femme, à peine rempli la troisième question, m’invite dans son bureau. Un accent de l’est traînant, elle me demande mon CV que je lui tends poliment. Après une lecture en diagonale, la sentence tombe : « Au regard de votre CV, je dirais que vous avez plutôt un profil universitaire. » Sans déconner, je ne me suis pas esquinté le coccyx sur les bancs de la fac pendant près de six ans pour m’entendre dire que j’ai plutôt un profil de taxidermiste, eu égard au respect que je dois à cette profession qui redonne la vue aux antilopes et autres blaireaux éborgnés. Elle poursuit donc :

« Je ne vous le cache pas et ne vous l’apprends pas, nous allons avoir du mal à vous trouver du boulot dans votre branche, il va falloir se débrouiller tout seul, c’est le moyen le plus efficace pour dégoter quelque chose dans votre branche.

– Je m’en doute un peu.
– Mais alors qu’est ce que vous faites ici ?
– Je n’ai pas demandé à venir ici particulièrement, je venais juste pour déclarer une fin de contrat en espérant toucher quelque chose !
– D’accord, donc la procédure maintenant est la suivante, je vais noter du blabla, parce l’administration a besoin de ça, et puis à toutes les fins de mois vous déclarerez sur internet que vous recherchez toujours un emploi. De notre côté, on ne pourra rien vous proposer, mais bon. Et puis en décembre, vous irez voir votre conseiller référant à l’ANPE, pour faire le point.
– Ok, mais le point de quoi !
– C’est la démarche qui veut ça, c’est débile, je suis d’accord, mais on est obligé de procéder comme cela.
– Je suis content de suivre une démarche soviétique alors.
– Je suis ukrainienne et croyez-moi, j’ai connu le régime soviétique, eh bien ici, c’est pire. »

Enfin un mouton noir parmi ces rouquins et ces robes rouges, du coup nous avons sympathisé, elle n’a pas trouvé de case correspondant à mon profil, nous avons donc opté pour rentrer dans celle des métiers de l’édition, rien à voir, mais bon… Et puis, au fil de la conversation, j’apprends qu’elle fait de la photographie, qu’elle expose. Intrigué, je la questionne sur l’origine de cette passion, elle me répond posément : « Il faut bien trouver une échappatoire à la connerie ambiante », sous-entendu celle qui règne dès que l’on ouvre la porte du Pôle emploi. Eureka et merci bien camarade.

Adrien Chauvin

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