En quoi l’entrepreneuriat peut-il contrebalancer et contrecarrer le chômage afin de l’endiguer, de l’assainir, voire de le résorber sur le moyen ou le long terme ? Réflexions au sein d’une PME…qui a réussi le pari.

Un chef d’entreprise parisien, Jean-François Le Gall, gérant avec son associé une PME nommée Kids’home, spécialisée dans les métiers des services à la personne, nous délivre un éclairage sur une situation pour le moins sibylline aux yeux des jeunes générations portées à s’engager dans l’entrepreneuriat (ou frileuses après avoir renoncé à entreprendre la création de leur entreprise). Kids’home, qui existe depuis début 2011, a vu le jour grâce à la création d’une première agence à Levallois-Perret dans les Hauts-de-Seine (92), puis d’une autre agence, localisée à Paris depuis l’été 2012. Son entreprise fait travailler une centaine de personnes, « malheureusement pas à temps plein, même si cela serait notre souhait » confie Jean-François Le Gall. Leurs motivations s’expliquent d’abord par le fait que les deux gérants, pères de famille, rencontraient des difficultés à trouver une nounou qui leur convenait. Vient alors à leur esprit une question centrale, essentielle : à quoi doit ressembler cette nounou ? « De fil en aiguille en échangeant avec les gens autour de nous, on se rend compte que cela n’a pas l’air si simple, ni pour nous, ni pour les autres. Il a fallu réfléchir autour de cela. Et c’est comme ça que l’histoire a démarré ». L’existence d’un « vrai besoin » corrobore leur projet pour lequel ni subventions, ni aides publiques quelconques n’existent.

Il s’agit alors de concevoir une entreprise dans la mesure où elle doit elle-même générer ses revenus : l’aspect économique est alors indéniablement de mise. Puis le besoin des familles allié à la réalité économique donne naissance à Kids’home. Le tandem de l’offre et de la demande trace son sillage dans la création de cette PME. « La vraie réponse contre le chômage c’est l’aide à l’entrepreneuriat » explique Pascal Faure, directeur général des entreprises depuis septembre 2014, lors de la conférence « Où va l’État ? » organisée par le Conseil d’État en décembre 2014. Comment prospecter sur le terrain afin de créer leur entreprise ? « Une question intéressante » à laquelle Jean-François Le Gall donne « une réponse, peut-être, étonnante : ce n’est pas le client qui est un problème. La difficulté, aujourd’hui, c’est de trouver de bonnes intervenantes ». Ils reçoivent des appels de clients régulièrement et quotidiennement. Quels objectifs atteindre et quelles finalités propices à une construction optimale du bon fonctionnement de leur PME ? Selon Jean-François, la finalité économique prime avant tout : il faut équilibrer toutes les charges – les salaires, les cotisations sociales, le loyer, la communication, l’infrastructure technique… Et le fonctionnement pérenne de la PME repose aussi sur « une responsabilité sociétale » dans la mesure où « 50% de leurs effectifs sont d’origine étrangère », c’est-à-dire, « composer avec différentes nationalités, différents repères culturels, et se focaliser sur les compétences ». « Intégrer des gens de partout à partir du moment où ils sont compétents, cela ne pose aucun problème » poursuit le chef d’entreprise, dès lors que ces personnes ont l’autorisation de travailler en France. Une « responsabilité de valorisation des métiers de service à la personne » s’impose « car ce sont des métiers  non valorisés dans la culture française ».

Pourtant le service requiert une attention de tous les instants, de l’enfance au troisième âge. « Les services à la personne sont des services tout au long de la vie ». Ainsi, émane une triple responsabilité pour les gérants de cette PME : une responsabilité sociale grâce au maintien d’une activité pérenne après avoir géré et fait des économies, une responsabilité sociétale en vue d’intégrer des personnes dans un vivier de compétences (comme aider les jeunes ou moins jeunes pour mettre un pied à l’étrier afin de les inciter à se former, à se professionnaliser et à obtenir leur diplôme) et une responsabilité économique propre à l’activité de la PME. Ces trois responsabilités complémentaires constituent le corollaire de l’attractivité d’une PME.

Les métiers des services à la personne : un métier d’avenir ?

« Notons que c’est un secteur d’activité où le travail dissimulé pullule » confie Jean-François Le Gall, qui affirme avoir vu, lors de récentes études de la Fédération des Services à la Personne, des chiffres qui « l’abattent car 50% estimés correspondent à cet informel ». Cette estimation laisse entrevoir « un gisement potentiel » en vue d’une bonne incitation à la formation et à la valorisation de ces métiers. Par ailleurs, la France est « une société vieillissante » selon lui et il existe encore du potentiel difficilement chiffrable en raison du « travail dissimulé ». Il alerte les parents, confrontés inexorablement à une série de risques pour leurs enfants s’ils y recourent. Néanmoins, au sein de Kids’home, ils sont assurés : leurs salariés sont déclarés, formés, rémunérés grâce à quatre micro-formations obligatoires sur les risques domestiques, les risques professionnels, la prise en charge, la bientraitance, la vigilance, et la maltraitance. Ainsi leurs engagements porteurs de sens sont une réponse à ce contre-courant informel qui n’apportera jamais de telles réponses pragmatiques pour mener à bien les tâches et les missions d’une nounou.

« L’alternance-professionnalisation », l’envers et le revers d’une même médaille 

« Le contrat de professionnalisation et le contrat d’apprentissage parfois pour les mêmes métiers, parfois pas du tout » rendent l’entreprise « captive » de ce que les instituts de formation leur proposent. Les relations partenariales dynamise l’entrepreneuriat : selon Jean-François Le Gall, il existe leurs partenaires institutionnels, puis la CAF, un acteur de leur secteur d’activité, le Trésor Public, par le biais duquel leurs prestations bénéficient d’une réduction d’impôts de 50%. Ensuite viennent les partenaires de cœur, acteurs désintéressés après avoir ciblé la manière de travailler, spécifique à l’entreprise suite à un échange d’idées. Les partenaires plus actifs sont les instituts de formation où les nounous formées s’épanouissent, se développent humainement et professionnellement, exploitent leurs potentiels positivement. C’est un gage de réussite pour une PME. En quoi leurs partenaires institutionnels pèsent-ils dans leurs choix géostratégiques en termes d’implantations ? Ou dans leurs choix en termes de contribution à la croissance économique à l’échelle locale, régionale voire nationale depuis l’union de Kids’home avec Libert’home ? Leurs partenaires institutionnels ont, par essence, une dimension nationale que l’entreprise n’a pas. Cette dernière a une vocation locale voire « micro-régionale ».

En revanche, ce qui se passe à l’échelle nationale existe à l’échelle locale : ce sont des partenaires capitaux car ils adoptent une démarche inclusive qui allie aussi l’entreprise. Cette dernière assure son rôle informatif auprès des clients pour leur faire bénéficier de mesures économiquement compatibles avec leurs revenus modestes ou avec leurs revenus de cadres moyens. L’union entrepreneuriale entre Kids’home et Libert’home confirme-t-elle leur volonté de promouvoir le concept de garde d’enfants et l’enseignement de l’anglais Outre-Manche ? « Trois taux de TVA » depuis la création de leur PME, le « compte pénibilité » proposé par le gouvernement et non mis en place encore, sont autant de freins « ou non », vecteurs d’une certaine lourdeur administrative. Visibilité fiscale et administrative sans cesse en mouvement conduit à une adaptabilité de leur PME en permanence. Quid d’une expansion d’activité en Europe ? À leur stade de développement, l’entreprise se développe davantage par opportunités que par plans. Définir une implantation en Angleterre, en Belgique ou au Luxembourg a pu se présenter et s’inscrit dans un plan orienté sur une logique de financement, lourde et très engageante, qui se voit supplanter par « une logique d’opportunités » à travers leurs contacts personnels, leurs rencontres : la nécessité d’une personne sur place contribue à travailler sur ce projet d’implantation et de développement de manière prudente en raison de la taille modeste de leur entreprise.

Selon Jean-François le Gall, « nous avons choisi d’externaliser la formation professionnelle, la comptabilité, les bilans et les comptes de résultats sont délégués à un expert-comptable au vu d’un niveau complexité tel qu’un dirigeant d’entreprise ne peut y faire face. De même pour les structures informatiques. Tout ce qui n’est pas du cœur de métier est externalisé ». Seule la paie est conservée : cela permet de gérer des écarts, car  externaliser la paie signifie « avoir moins de souplesse ». Ce qui entrave alors la préservation des ressources humaines et de cet élément de relation humaine. Qu’en est-il des ressources humaines, de leur gestion dont le système peut être voué à perdurer ou non tel que nous le connaissons au sein d’une PME aujourd’hui ? « Cela dépend de la complexité de la relation humaine et des métiers » au travers du prisme de la valorisation des métiers. C’est ainsi que l’ingénierie, le consulting nécessitent des pointures pour gérer différents types de contrat, de conventions collectives plus complexes que d’autres car elles représentent des activités susceptibles d’être organisées de manière plus complexe que d’autres, et non externalisées dans leur PME car l’humain est le cœur battant de leur PME grâce à leurs clients et à leurs intervenantes.

« Former les gens de demain »

Quant à la réussite de leurs stagiaires qui travaillent dans le cadre d’un contrat de professionnalisation, d’un contrat d’apprentissage ou en vue d’une VAE (Validation des Acquis de l’Expérience), l’équité n’existe pas : les contrats de professionnalisation sont plus nombreux que les contrats d’apprentissage au sein de leur PME. « Même si les organismes de formation sont sérieux dans leur démarche de recrutement, je pense, par expérience, que des jeunes intègrent un contrat de professionnalisation sans savoir pourquoi ils y vont ». Un CAP petite enfance n’est pas si simple à obtenir : le valider implique de réussir les épreuves de cet examen après une formation constructive et pleine de sens grâce à une démarche réflexive et pragmatique de chaque stagiaire, liée à l’exercice de la profession.

Jean-François Le Gall a passé le CAP petite enfance qui requiert un investissement conséquent dans le travail. Leur taux de réussite varie entre 85% et 90% : les stagiaires issus d’un public sans qualifications réussissent à obtenir le précieux sésame voire à poursuivre en Bac Pro ASSP, pour certains d’entre eux. L’échec sera ressenti si les jeunes quittent l’entreprise après y avoir été formés car l’objectif ne consiste pas à bénéficier d’avantages fiscaux et d’un levier, d’un tremplin de formations grâce aux OPCA (les Organismes Paritaires Collecteurs Agréés). «  Ce qui nous intéresse, c’est de former les gens de demain. C’est là où on récupèrera notre investissement. Le plus beau succès c’est que la personne nous dise : merci, j‘ai réussi comme je le voulais. Comment continuer ? » s’exclame Jean-François Le Gall.

Au sujet des dispositifs en faveur des jeunes en formation, ce dernier ajoute, ironique : « nos administrations sont formidables : elles créent des dispositifs » tributaires de fonds alloués par la région, par l’État pour les financer et « qui sont totalement inconnus des chefs d’entreprises des TPE et PME ». Manque de communication, absence de lisibilité auprès des PME et TPE afin d’accroître leur attractivité font défaut au monde de l’entreprise. Moins ces dispositifs seront nombreux, plus ils seront gérables et exploitables dans une PME telles que Kids’home, dont la pierre de touche est un contact de proximité afin d’élaborer de manière optimale le suivi de leurs stagiaires. C’est la raison pour laquelle la succession des volontés politiques, plus théoriques, sont en écart avec l’expérience des « gens de terrain », pragmatiques.

Voir plus loin, plus large

À quand une agence de recrutement de garde d’enfants, plurilingue ? « Ce serait une belle démarche » répond Jean-François Le Gall, mais qui avertit que, comme beaucoup de chefs d’entreprises, il se heurte à un manque de temps. Malgré une bonne volonté qui s’exerce et porte ses fruits face à toute épreuve, dans un contexte économique en crise où le taux de chômage s’élève à 10,6 % de la population active en France (soit 2,9 millions de personnes en France métropolitaine selon l’Insee). Le tout dans un contexte territorial qui nous englobe au sein de l’Union européenne et qui tarde à trouver ses marques en matière d’harmonisation des diplômes, des compétences à l’échelle européenne, entre autres. Or le poumon de l’entrepreneuriat français s’oxygène grâce aux PME et TPE, comme le témoigne notre tour d’horizon au sein de Kids’home.

Ouafia Djebien

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