« C’est calme » me confie Abdoulaye, résigné sur la situation de son business en période de confinement. La fermeture des bars et des restaurants a en effet mis un coup d’arrêt à l’activité de celui qui ne se sépare de son sac cabas Leclerc que pendant la prière. C’est d’une certaine façon son attaché case, son outil de travail. Là où il entasse montres, porte-monnaie et ceintures en simili cuir. Alors pour lui, « chez Max » l’un des rares bar PMU de sa ville ouvert, c’est son unique espoir de choper un kopeck ; le cas échéant profiter de la tournée de « noisettes » d’un turfiste à qui la chance aura souri.
Profession : vendeur ambulant
Ni vendeur sous le manteau, ni vendeur à la sauvette, Abdoulaye est un commerçant comme il aime à le répéter. A juste titre. Il est inscrit au registre du commerce et des sociétés (RCS) en tant que commerçant ambulant. La seule profession qu’il exerce depuis son arrivé en France au début des années 80, « à Brive-la-Gaillarde, la ville de Chirac », pas peu fier de venir de la même commune qu’un Président de la République.
Cadet d’une fratrie de 4 enfants et originaire de Louga au nord-ouest du Sénégal, Abdoulaye a la vente dans le sang : « quand tu fais ce métier, tu ne veux pas faire autre chose ». A l’instar de ses pairs commerçants, il s’interroge donc sur son avenir et espère pouvoir profiter des périodes de fêtes pour sauver son année. Des annonces du gouvernement sur l’allègement progressif du confinement, il a entouré la date du 15 décembre sur l’agenda « gracieusement » offert chaque année par sa banque. Si les objectifs sanitaires sont atteints, le confinement pourra être levé et avec, la perspective pour Abdoulaye de se rendre à Aubervilliers. C’est là-bas, au Centre International de Commerce de Gros France-Asie (Cifa), qu’il « cherche la marchandise ». Un aller/retour express dans la journée, son grisbi qu’il aura recompté plusieurs fois la veille et minutieusement calé dans la poche intérieure de sa parka. « Je serai de retour avec le train qui arrive à 20h40 en gare de Mulhouse ».
Quand tu vis seul et que tu sais que ta famille au pays compte sur toi, il faut prendre le temps de bien réfléchir à chacune de tes décisions
Il aurait pu faire le voyage avant le début du confinement fin octobre pour avoir du stock. En vieux briscard, il a préféré garder du cash par précaution. Un peu pour lui, beaucoup pour les siens à Louga. « Quand tu vis seul et que tu sais que ta famille au pays compte sur toi, il faut prendre le temps de bien réfléchir à chacune de tes décisions » avant d’admettre que de toute façon « c’est Dieu qui fait, il ne faut pas forcer ».

L’étal d’Abdoulaye.
68 ans et une retraite encore lointaine
Alors, celui qui fêtera ses 68 ans le 1er janvier prochain, patiente dans son studio qu’il loue au foyer des Châtaigniers dans la proche banlieue mulhousienne. Il « calcule » avec les doigts les mois qui se sont écoulés depuis son retour du Sénégal. « Cette année je suis rentré tard : le 27 août » déplore- t-il, conscient que dans le contexte actuel, il lui sera compliqué d’amasser le magot nécessaire pour y retourner en début d’année comme il a l’habitude de le faire. Et ses calculs, il continuera de les faire encore pendant quelques années. La retraite, il ne l’envisage pas dans l’immédiat d’autant que ses projets au Sénégal sont légion. Sur son smartphone, il fait défiler les photos de sa boutique près du marché de Louga, celles du chantier, qui n’avance pas assez vite, de la dépendance de sa maison avant de s’arrêter sur les clichés de ses filles. Trois d’entre elles poursuivent des études supérieures. L’aînée, elle, est devenu maman l’année dernière « un garçon, moi qui n’ait eu que des filles », confiera-t-il l’air amusé tout en pointant l’index droit vers le ciel. Il faut donc assurer – WhatsApp est là pour le lui rappeler.
Et quand bien même, il arrivait à suspendre temporairement l’application de messagerie, les nouvelles du pays viendront par un autre canal. Tous les jours à 14h, il retrouve ses amis dans une chambre d’un autre foyer de la ville pour suivre le JT de 13h du Sénégal. À Dakar, pas de confinement, ni d’attestation. La vie a repris comme avant et il espère qu’il en sera de même ici rapidement.
Ahmed AIT BEN DAOUD