Là où la Nuit se passe désormais debout depuis une dizaine de jours, les revendications et propositions citoyennes peinent à être couchées clairement sur papier. Pourtant, la majorité des gens qui battent les pavés de cette place (dont certains ont d’ailleurs été délogés pour y faire pousser fleurs et tomates) veulent croire en l’initiative du mouvement, et surtout, en ses débouchés. Mais qui sont ces gens que la vie politique rend insomniaques ?
J’arrive Place de la République sur les coups de 18h30 en ce lundi 12 avril, avec dans mon sac, mon calepin, mon enregistreur et mes a priori. On parlait dans les médias d’un rassemblement de jeunes bobos à la mèche rebelle, très en colère contre le système politique et le monde en général. J’y ai vu une majorité de jeunes, certes, mais pas que… Dans la foule, les fameuses mèches en question, des dreadlocks, mais également des tignasses bien peignées, et parfois plus sel que poivre. Toutes ces têtes, il est vrai, s’agitent et s’égosillent sur un même ton, celui de la contestation. Une contestation qui se nourrit chaque jour du même terreau gauchiste, plus ou moins extrême.
Me voilà prise dans la foule. Elle s’écrie : « Libérez la sono, libérez la sono ! ».L’assemblée générale est interrompue. La place se lève en deux temps trois mouvements pour encercler un des nombreux combis de CRS. L’attroupement revendique le retour de la stéréo qui leur a été soustraite hier par les forces de l’ordre. C’est Erwan, 26 ans, qui me met au parfum. Il est artiste. Pourquoi vient-il ? « Parce que tout seul, je ne sais pas quoi faire. » Selon lui, ce mouvement permet à des gens lassés de se rassembler et de se faire entendre. « De quoi es-tu lassé Erwan ? »La réponse est vague. D’un peu de tout en réalité… Et pourtant, il n’a pas encore osé prendre la parole et ne semble pas prêt à la prendre.
« La manifestation de tout et de rien »
DSC_0125-e1460490161949Je rejoins un autre homme. Il s’appelle Maxime, il a 29 ans. Il est commercial et habite à quelques rues de la Place. Il est à ranger dans la classe des badauds curieux. Curieux, mais pas partisan. En retrait du reste de la foule, il semble plutôt embêté. Pour Maxime, le problème vient certes des politiciens dont il se méfie, mais aussi du peuple français, qui dégainerait son préavis de grève et ses déclarations de manifestation auprès des préfectures « pour tout et rien ». Il s’inquiète de ces contestations pléthoriques, qu’il perçoit comme nuisibles à l’image de la France, déjà peu reluisante, il faut bien le dire. Il est vrai qu’entre les pancartes « Welcome refugees ! » et « Stop aux pesticides », il est difficile de s’imaginer que la genèse du mouvement Nuit Debout remonte en réalité à un élan de protestation contre la loi El Khomri.
Je rejoins le centre de la Place. Les tensions se sont estompées temporairement, l’assemblée générale peut continuer. Les citoyens s’asseyent, prêts à écouter et à participer aux interventions qui se succèdent au micro. Il est tendu à un premier homme qui fait part de son dégoût pour les banques et autres scandales à la Panama Papers.
Quand je décide de m’approcher d’Hélène et Aurélie, toutes deux étudiantes en communication, le micro est à un nouvel intervenant. Une femme en appelle à davantage de communion avec la forêt et souhaite contribuer à sa manière à cette assemblée en lui lisant un poème. Je me retourne vers mes deux étudiantes, qui m’avouent prendre part pour la première fois au mouvement. Elles se disent interpellées par plusieurs sujets politiques, sans prétendre en connaître tous les réels tenants et aboutissants. L’une d’entre elles m’explique ne plus croire au système politique, qu’elle dit ne plus être adapté : « Il faudrait quelque chose de plus participatif, avec des représentants des vrais citoyens et plus seulement des gens qui ont fait Sciences-Po, mais qui viendraient des cités ».
Alors que je m’éloigne de l’assemblée, une mère et son fils sont assis près d’un des arbres de la Place. Francesca est Italienne, mais vit à Paris depuis 5 ans. Elle me confie qu’elle devait donner une conférence aux militants sur la protection internationale en Europe dans l’après-midi. Mais après l’évacuation de la Place de la République tôt dans la matinée, la conférence a été annulée. Elle souhaitait pourtant apporter sa pierre à l’édifice en mettant son savoir au service des autres. Car c’est ce qu’elle revendique par sa présence au mouvement Nuit debout : un savoir qui se démocratiserait et qui serait accessible à tous. L’échange avec Francesca se termine. Elle rentre chez elle avec sous son bras, sa pancarte sur laquelle est écrit « Conseils en droit international et en droits de l’Homme pour tous. N’hésitez pas à me demander ».
De Notre-Dame-Des-Landes à la Place de la République
Du côté du point cantine improvisé, où les invendus des restaurants du coin sont distribués à un prix libre aux participants, je rencontre Chloé, 25 ans, du type « vieux de la vieille » comme on dit. Militante dans l’âme, elle était à Notre-Dame-Des-Landes il y a quelques jours encore. Elle y retournera d’ici peu pour continuer le combat contre le plan de construction de l’aéroport aux côtés d’autres militants. Après avoir fait une formation de technicien du son, elle quitte tout pour rentrer dans « l’alternatif ». Elle vit dans son camion et se rend avec lui sur tous les lieux de protestation sociale et autres villages associatifs. La route de la protestation, elle semble y avoir usé ses pneus. Son mot d’ordre : la convergence des luttes, quel qu’en soit le motif. Elle qui se dit pacifiste, elle n’a pas honte d’avouer qu’elle ne pleurera pas pour autant sur les banques qui ont été vandalisées ces derniers jours par certains militants radicaux.
Je la sens profondément galvanisée par ce mouvement, tout comme l’ensemble des personnes présentes sur cette fameuse Place de la République, symbole de la contestation et de la liberté à la française. Mais au delà de l’enthousiasme du mouvement âgé d’à peine quelques jours, au delà se pose la question de sa résistance au temps qui passe. C’est sur la durée qu’il acquerra réellement ses lettres de noblesse, en ne se contentant pas seulement de refaire le monde, mais en se fixant un but et un mot d’ordre précis. Que ce soit de faire tomber le gouvernement ou d’enlever toutes les dalles de la Place pour y faire planter un potager.
Fanny Van Muylder

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