Dès le seuil de la porte franchi, un distributeur tout rouge vous invite à prendre un ticket. Dans une petite pièce qui fait office d’agence, avec sa salle d’attente et ses guichets, les gens comparent le numéro de leur ticket avec le chiffre affiché sur un panneau lumineux. Petit soupir… C’est aujourd’hui le 10 du mois à l’agence Western Union, Boulevard Magenta à Paris, et ça se bouscule. Les salaires viennent de tomber. Toutes les chaises sont occupées et le peu d’espace qui reste est envahi par la clientèle, avec leurs courses. Normal, on est en face du marché couvert Saint-Quentin. D’autres clients attendent leur tour dehors.

Quatre guichets, quatre employés : une Indienne, une Maghrébine et deux Noirs. Chez Western Union, la diversité est de mise. Sourire et question rituelle : « Bonjour, pour quelle pays voulez-vous envoyer votre argent ? » Tout se passe vite, et tout est fait pour que ça aille vite. Ici, pas besoin de remplir de formulaire. Une pub représentant un crayon cassé le proclame. Malgré tout, l’impatience se lit sur les visages. Une cliente se plaint à sa voisine : « Tss ! non, je rêve, il est arrivé après moi, celui-là, et il passe avant ! » Des petits malins prennent toujours deux où trois tickets d’avance et en partant, ils les refilent à d’autres.

Origines et nationalités de toutes sortes sont présentes. Haïti, Côte d’Ivoire, Maroc, Amérique latine et même des gens d’Europe de l’Est. J’interroge une dame sur la destination et la somme de son mandat. Elle m’envoie balader. Les gens n’aiment pas trop parler de leur argent. Je retente ma chance avec une jeune femme qui porte un petit bob sur la tête. Assise à côté de moi, elle bouquine. « Excusez-moi, vous allez envoyer votre argent vers quel pays ? – Haïti, répond-elle. – Et combien, sans indiscrétion ? – 100 euros. »

J’enchaine aussitôt : « A qui ? – A mon petit frère qui passe son examen. Ça lui permet de payer ses frais », dit-elle tout sourire. – Il y a combien en commissions d’envoi ? 10 euros, ça va. C’est beaucoup moins cher qu’à la banque. – Ça représente beaucoup 100 euros à Haïti ? – Ha ! Eh ben oui… (Elle rigole) »

Pendant ce temps, je ne perds pas le guichet des yeux. A cause des vitres de sécurité, les clients sont obligés de crier pour se faire entendre. L’intimité n’est pas permise. Un grand jeune homme noir envoie la somme de 87 euros vers le Burkina Faso. Il commence à hurler contre le guichetier. « Je ne suis pas content, vous me réclamez une pièce d’identité, je vous présente un titre de séjour et vous osez me demander s’il est valable !? Non, mais ça veut dire quoi ? – Ce n’est pas la peine d’élever le ton. Je suis dans l’obligation de le faire, c’est mon travail, lui rétorque l’employé. – Non, ce n’est pas normal, d’accord, ok, ok, je sais que ce n’est pas votre faute. Vous n’êtes qu’un pion ici. Mais merci de transmettre à votre responsable. » Chose que ce client ne sait pas, c’est que le responsable de l’agence se trouve à côté du guichetier, avec la machine à compter les billets.

Mon regard croise celui d’une nounou noire avec poussette et deux bébés aux yeux bleus qui n’arrêtent pas de lui sourire. Elle vient de Côte d’Ivoire. Je lui demande s’il est possible d’envoyer de l’argent quand on est en situation irrégulière. « Oui, c’est possible. Un passeport du pays d’origine, non périmé, suffit. Il n’est pas nécessaire de produire un titre de séjour. Le monsieur de tout à l’heure aurait pu éviter ce désagrément en montrant une pièce d’identité. » La dame dit envoyer 100 euros à sa petite sœur en Côte d’Ivoire, qui est sans travail et avec un enfant à charge. « Ça lui permettra d’être à l’abri pour quelque temps. Le smic est actuellement autour de 60 euros là-bas. »  Je lui lance : « Elle va être riche ! – Oh oui », rit-elle.

Nous sommes interrompus par une Algérienne (apparemment, elle envoie de l’argent en Arizona, aux Etats-Unis). L’employée la prie de lui fournir le nom du destinataire. Elle ne comprend pas bien, demande à la cliente:  « Vous l’écrivez avec « au » ou avec « o ». – Mais « au » ou « o », où est le problème ? L’essentiel c’est que ça arrive. » La guichetière est un peu vexée. Arrive le moment de payer. La cliente tend sa cartre bleue. L’employée : « Ah non ! On n’accepte pas la carte bleue. – Comment ça, vous n’acceptez pas la carte bleue ? Vous êtes une banque ou quoi ? », s’énerve-t-elle tout en faisant claquer son chewing-gum.

Ma nounou noir me lance entre ses dents : « Tss, jamais de carte bleue. Il faut du cash. C’est pour ça qu’il n’y pas de frais. Moi, j’envoie de l’argent presque tous les fins de mois. C’est pour ça que je connais tout ça. » Je lui demande comment ça se passe là-bas ? « C’est rapide. En général, c’est au bout de 48 heures que l’argent peut être récupéré. Dans n’importe quelle poste ou banque. Et bien sûr sans frais. »

A côté de moi, un homme s’affaire à compter son argent. Je lui propose mon aide. Il rigole. Il s’appelle Sylvestre. Il envoie son argent au Sénégal. A Dakar pour être plus précis. J’anticipe ce que je crois être sa réponse : « C’est pour votre frère ou votre sœur ? ». Il me répond, interloqué : « Hein !? C’est 400 euros, pour toute la famille ! 1 euro c’est l’équivalent de 656 Franc CFA ; ça veut dire que je leur envoie 262 000 CFA, ça paraît énorme annoncé comme ça. Mes parents sont vieux et ils ne peuvent pas travailler. Mes frères et mes sœurs font ce qu’ils peuvent. Mais leur salaire ne suffit pas. Moi je leur envoie tous les deux mois 400 euros, que j’économise sur mon salaire de fonctionnaire. Ça leur permet de faire face à la misère et en même temps, j’ai petit projet avec mon frère ainé : l’achat d’un bateau de pèche. »

Aujourd’hui, Western union, société américaine, est leader mondial sur son marché : 1,3 milliard de dollars de chiffre d’affaires, en progression de 12% au quatrième trimestre de 2008. En 2006, la compagnie comptait plus de 270 000 points de vente, dans plus de 200 pays. Elle a des concurrents : Moneytrans ou Flouss.com.

Nicolas Fassouli

Nicolas Fassouli

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