Aux commandes du centre Multimédia Formation, deux femmes de conviction : Rafika Azek, ingénieure, à l’origine du projet, et Fabienne Quilliou, responsable de la formation. Après avoir travaillé comme comptable dans des multinationales pendant dix ans, Rafika Azek prend la tangente dans les années 80. « Je voyais ma carrière toute tracée et je me sentais enfermée. Je voulais aider les autres. »

A l’époque, une forte dynamique associative agite les banlieues : les beurs défilent dans la rue car ils ne veulent plus être considérés comme des Maghrébins mais comme des Français. Cette gronde insuffle un nouveau vent dans la vie de la jeune Albertivillarienne. « La directrice du service jeunesse d’Aubervilliers m’a dit, en prenant pour exemple ma famille, que rares étaient les personnes à avoir le bac dans ma cité. Cela m’a étonné car ma famille vivait en harmonie et mes sept frères, sœurs et moi faisions des études sans problème de drogue. »

Son leitmotiv se dessine alors : si elle réussit, alors les autres aussi le peuvent. Elle décide de rejoindre l’association SOS ça bouge, association de quartier de la cité Delattre De Tassigny de Bondy, qui propose du soutien scolaire ainsi que des activités de loisirs à de jeunes « éléments perturbateurs » de 16 ans qui sont sortis du système scolaire. Avec son équipe, elle créé un point info jeunes afin d’offrir à ces adolescents un accueil et une écoute. « La recherche d’une formation professionnelle et d’un travail étaient un prétexte. Certains avaient des problèmes de drogue. On voulait leur donner une perspective, les impliquer au maximum dans leurs démarches. »

Elle anime cette structure pendant cinq ans : « Je me suis aperçue que le problème principal des jeunes était l’illettrisme. Ils étaient très réfractaires à l’école et en avaient une image déplorable. Nous nous sommes retrouvés avec des grands gaillards qui restaient accrochés aux ordinateurs et qui apprenaient avec des CD Roms destinés à des petits. »

A la suite d’une formation de « responsable animatrice de centre multimédia », elle ouvre en 1995 un centre de formation, « Multimédia formation ». Fabienne Quilliou, qui a suivi le même apprentissage, la rejoint peu de temps après. Ce centre poursuit une démarche atypique : « Ici, le rythme d’assimilation de chacun est respecté, explique Rafika Azek. Quand la personne ne comprend pas, on se remet en question : peut être est-ce la méthode qui ne convient pas ? On travaille aussi avec une multitude d’outils, didacticiels (enseignement assisté par ordinateur), audio, vidéo, papier, pour répondre à une multitude de cas. »

Chaque stagiaire est accompagné par un formateur professionnel dans des petits groupes qui réunissent 6 à 10 apprentis au maximum. L’entrée/sortie des élèves est permanente. Cette transmission du savoir fait semble-t-il ses preuves : « On est très satisfaits de nos résultats. Sur les cinq sessions d’assistante bureautique qui dure sept mois, à temps plein, sept personnes sur huit ont eu le titre complet et la 8e personne a eu un titre partiel. » Le centre est abondamment sollicité par les entreprises qui reçoivent des stagiaires qui font partie des 350 que forme en moyenne le centre chaque année.

Malheureusement, les formations bureautique et langues, que propose le centre de ressources depuis 1997, ont été supprimées par le conseil régional d’Ile-de-France, dix ans après. La région les subventionnait à hauteur de 7 à 8 euros de l’heure. Ces formations rencontraient un succès auprès notamment des TPE et PME. Nos deux femmes de tête s’en offusquent. La région leur rétorque qu’elle a fait des choix économiques. « On est en difficulté depuis : le programme qualifiant ne compense pas la perte de ces deux chéquiers, affirment les deux femmes. On est obligé de faire appel aux moyens financiers de la personne, ce qui nous pose un problème déontologique. On veut travailler contre l’exclusion. On espère beaucoup de la nouvelle assemblée régionale, parce que la crise, elle est là et les gens ne peuvent pas payer. »

Rafika Azek et Fabienne Quilliou espèrent ne pas fermer les portes de leur centre pour des raisons purement économiques. « Ce qui nous motive c’est la satisfaction des personnes. Beaucoup sont étonnées d’avoir appris quelque chose après avoir été paumées dans des stages collectifs et nous remercient chaleureusement. On ne veut pas faire de business. L’âme de notre centre va disparaître. »

Stéphanie Varet

Stéphanie Varet

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