Sans emploi depuis 2008, Muriel, 55 ans est ce que l’on appelle une « chômeuse de longue durée ». Elle témoigne de cette descente aux enfers, d’une institution boiteuse et d’un univers qui vous coupe des autres, ceux qui travaillent. Témoignage.

J’ai 55 ans. Je suis chargée de communication et de marketing. Je gagnais 45 000 euros par an. Suite à une fin de mission, en 2008, chez GDF SUEZ, je m’inscris au chômage. Me voilà dans les méandres des différentes institutions de la France. Ce système m’était complètement étranger. Rapidement, je suis atterrée par ce que je découvre. De jour en jour. Aujourd’hui, en allocations spécifiques de Solidarité (ASS), je gagne 15€90 par jour. Je perçois une allocation de 277€ par mois pour payer mon loyer. Soit, un total de 769€ par mois. J’ai connu une baisse de salaire de  82,91 %, après 37 ans de cotisations. J’imaginais les services au top de leur forme. Quelle surprise !

Encore une fois, au début du mois, alors que j’attends mon virement pour faire quelques courses et payer mes factures, un employé du Pôle Emploi m’explique que je n’ai pas reçu mon paiement parce qu’un collègue a « oublié d’appuyer sur la touche validation ». Le suivi de milliers de chômeurs est confié à des sous-traitants, qui se battent pour proposer le prix le plus bas. Qualité garantie… Faute de pouvoir venir en aide à tous les chômeurs, toujours plus nombreux, Pôle Emploi fait le bonheur et la fortune de quelques entreprises privées sous-traitantes.

Les sous-traitants assurent le suivi simple, qui consiste à recevoir les chômeurs à la place de Pôle Emploi (tous les mois ou tous les quinze jours) pour les aider à trouver un stage ou un boulot. Ils se voient aussi confier des missions ponctuelles : ateliers de CV et de techniques d’entretien, bilans de compétence, évaluations préalables à la création d’entreprise… Pôle Emploi ne gère aujourd’hui presque plus aucun chômeur, sauf l’accueil et quelques chômeurs privilégiés, triés sur le volet. Je ne suis plus un usager, mais traitée comme une véritable cliente.

Le 8 août dernier, en plein entretien avec un conseiller de la Caisse d’allocations familiales des Yvelines, un chômeur de 51 ans s’est aspergé de liquide inflammable. Et il s’est allumé. Le 14 février, à Nantes, un chômeur en fin de droits s’immole. Un homme normal, avec une vie normale, dans un quartier normal, mais qui est mort d’une façon anormale dans un pays démocratique. Jean Bassères, le directeur général du Pôle Emploi, a répondu : « nous sommes tous responsables ». Alors, monsieur, prenez vos responsabilités. Le 15 février à Saint-Ouen, un autre chômeur en fin de droits, d’une quarantaine d’années, a tenté de s’immoler par le feu, en fin de matinée.

Il y a ceux qui décrochent rapidement le bon job : par chance, et tant mieux ! Mais moi, je fais partie de ces millions de personnes qui vont continuer à pointer, mois après mois, sans résultat aucun, ou alors quelques médiocres opportunités, malgré leurs qualités professionnelles et humaines. Qu’est-ce qui cloche ? Le doute s’installe, la fatigue s’en mêle, et le moral décline. La mission impossible. On a déjà perdu ses repères dans la société, on ne sait plus comment procéder pour y reprendre sa place.

On perd courage. Et commence à naître le sentiment d’exclusion, qui s’aggrave quand on découvre que l’on est devenu  » une chômeuse de longue durée « . Une catastrophe ! Jamais je n’aurais cru en arriver là ! Les privés d’emploi côtoient ceux qui en ont. Deux mondes bien distincts, on s’en rend compte. Ceux qui  » gagnent leur vie  » sont souvent à mille lieues de vous comprendre (d’ailleurs beaucoup se refusent à le faire, c’est trop effrayant parce que ça pourrait bien leur arriver un jour et la plupart a l’intime conviction que vous vivez sur leur dos).

Il y a la pression que l’on inflige à soi-même et la pression extérieure. Par exemple, le regard de la famille ou des amis qui croient dur comme fer que les chômeurs sont des parasites et des fainéants. Il y a aussi l’indifférence du  » conseiller  » Pôle Emploi qui vous a reçu, le mépris du recruteur qui n’a même pas lu votre CV, et tous les autres. Le temps passe, toujours pas de boulot, et l’avenir perd de sa signification.

Il devient un gouffre d’angoisse : Comment vais-je payer mon loyer ? Mon électricité ? Mon gaz ? Combien de temps vais-je tenir ? Vais-je finir à la rue ? A quoi je sers ? Qu’est-ce que je vaux ? Dois-je quitter cette ville ? Dois-je partir de la France ? On se sent incomprise, rejetée, seule. Minable. On se déteste, parfois, on déteste les autres. Volontairement ou non, on fait le ménage dans ses fréquentations et l’isolement complet arrive. On attend.

Muriel Prat

 

 

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