Qu’est ce que tu veux faire quand tu seras grand ? La question fait sourire, mais pas longtemps, du moins jusqu’à la rédaction du Curriculum Vitae. Epluché aussi vite qu’une pomme de terre de cantine scolaire, il doit convaincre et déboucher sur un entretien. C’est ce que vit Saïd, récit.

Pendant que certains attendent de manière messianique l’inversion d’une courbe, j’observe toute une génération galérer à trouver un job, un stage, un contrat en apprentissage. Le contexte nous pousse à nous comporter bizarrement, face à la compétition du marché du travail, nos recherches ne peuvent aboutir sur du concret que si dans notre arsenal nous disposons de ce qu’on appelle le réseau. Ce mot mystérieux et paradoxal, veut tout et rien dire à la fois, il est utilisé comme une clé magique qui nous amène à gagner un temps précieux dans notre quête du Graal.

Autre mot magique, le Curriculum Vitae, mot latin que nous avons vulgairement réduit en deux lettres parce que nous n’avons plus le temps pour rien, ce mot signifie le déroulement de la vie. En 2013, le CV est généralement un fichier PDF, lu en diagonale, qui permet une sélection des heureux élus qui auront droit à une audience. La création de ce fichier est le préambule des tumultes de notre génération précaire ou « Génération Y » comme ils disent.

Ce préambule est vraiment pénible à réaliser, il faut d’abord savoir ce qu’est un bon CV. Un bon CV c’est comme une voiture de sport, on le voit arriver de loin, tout le monde le regarde on le scrute on essaie de comprendre le mécanisme et on se dit que le nôtre est tout pourri. Nous sommes tous égaux au départ, notre premier CV résulte d’une expérience toute pourrie qui s’accouple avec deux mensonges qu’un ami vous souffle pour être pris au McDo. Sans ce papier nous ne sommes rien, nous n’allons nulle part, le Curriculum Vitae nous formate, pour un premier écrémage qui se fait en format A4.

Le CV en bon Wikipédia des anonymes permet donc la sélection des meilleurs, le recruteur n’a plus qu’à piocher dans cette constellation d’étoiles. La question du CV anonyme s’est posée dans notre pays, et si certains recruteurs s’arrêtaient au nom de famille, à l’adresse d’origine, au sexe ou à la photo ? Le Curriculum Vitae nous condamne à raconter une belle histoire au recruteur, notre vie se résume donc à quelques expériences plus ou moins constructives, à un nom de lycée, à une passion pour le scoutisme, pour le théâtre d’improvisation.

Dure est la tâche quand nous savons que le destinataire du CV va mettre en moyenne deux clics pour se faire une idée de notre vie. Le CV n’ouvre pas beaucoup de portes, mais nous condamne à la séparation. Tu veux faire quoi quand tu seras grand ? Taxi ? Policier? Médecin ? Avocat ? Entraîne-toi à faire des CV, gamin !

L’entretien

Le rendez-vous approche, une vive émotion que les nostalgiques du collège connaissent va envahir votre quotidien, celle de la rentrée et du conseil de classe en même temps. Être pris en entretien, c’est avoir le droit d’avoir des pensées positives temporaires sur notre prochaine situation. Le dress-code flanque un sacré coup de vieux, il est loin le temps des entretiens d’embauche chez Quick à la cool. Il faut prendre un moment pour squatter des vidéos Youtube qui expliquent comment faire une cravate en une minute. Si votre cravate part un peu sur le côté, il faut rester calme et avoir un ton présidentiel. On sent vite les personnes qui n’ont pas l’habitude de mettre des costumes, on les voit dans le métro, généralement ils en font un peu trop sur la tenue, il ne faut pas trop surenchérir et passer pour un ex-dictateur en audience à la Haye.

Vous sentez que le moment est délicat, que les études ne suffisent plus pour cet instant de vérité. Nous allons juger votre personnalité votre vocabulaire votre façon de vous tenir, de vous exprimer. Éteignez votre portable. La sonnerie du prince de Bel Air en entretien d’embauche c’est délicat. Les réactions physiques peuvent se manifester par une auréole sous les bras, des mains moites, ou un rougissement, bon si vous cumulez les trois il faut garder l’esprit Coubertin. Tout, vraiment tout est à prendre en compte, il faut être armé d’informations sur la personne qui va vous recevoir, car elle vous a sûrement déjà googlisé. Allez sur la page de l’entreprise pour essayer de voir ce qu’ils font de bien. Trouvez des questions pertinentes qui combleront les trous de timidités. Mais attention : la bonne curiosité, pas de question bête genre « vos tickets resto c’est 7.50 ou 8. 50 ? »

« Bonjour » « Merci » « Tout à fait » « En effet » « Certainement », « Merci de m’avoir reçu » . La véritable clé de l’entretien, c’est le courant, le feeling, on l’obtient ou pas, il n’y a pas encore de métier d’expert de courant entre personne, nous n’avons pas de recette miracle. La peur de mal parler, de dire « Izon » au lieu de « ils ont »,  de dire « euh » à tous les bouts de phrases est tout à fait normal. L’entretien d’embauche commence souvent par la présentation de celui qui vous a invité, ne regardez pas son bureau et ses post-it Hello Kitty, ne jugez pas cette personne, elle a un job. Il faut regarder son vis-à-vis dans les yeux, soyez attentif, rigolez s’il fait une petite blague ou un petit jeu de mots, pas trop fort, sinon il va vous prendre pour un fou.

Votre tour arrive, comme au ping-pong vous servez cinq points. Racontez-lui les meilleures choses que vous avez faites professionnellement. Le recruteur se cherche aussi, il ne veut pas se tromper, il doute avant de vous rencontrer, il ne faut plus qu’il doute après. Vous allez peut-être déchanter quand votre interlocuteur va se dévoiler par l’intermédiaire de certaines questions foireuses : « Vous êtes de quelle origine à la base ? » « Ça ne vous dérange pas de travailler dans une équipe composée uniquement de femmes ? » « Pourquoi avez-vous si peu d’expérience pour beaucoup de diplômes s? »

Personne n’est parfait, d’ailleurs il n’y a pas d’entretien parfait, ni de CV parfait, il y a une alchimie à trouver entre ce que nous voulons montrer et ce que nous sommes réellement. Trouver un emploi est une mission plus crispante qu’autrefois, parfois plus humiliante. Le sentiment d’injustice peut se mêler à l’aigreur dans nos réactions, aux réponses négatives. Un refus ne veut souvent rien dire. Tu veux faire quoi quand tu seras grand ? Vétérinaire ? Apprend déjà à bien colorier la chèvre sans dépasser gamin !

Saïd Harbaoui

 

Articles liés

  • Dans les quartiers, le nouveau précariat de la fibre optique

    #BestofBB Un nouveau métier a le vent en poupe dans les quartiers populaires : raccordeur de fibre optique. Des centaines d’offres d’emploi paraissent chaque jour, avec la promesse d’une paie alléchante. Non sans désillusions. Reportage à Montpellier réalisé en partenariat avec Mediapart.

    Par Sarah Nedjar
    Le 18/08/2022
  • Privatisation : les agents de la RATP défient la loi du marché

    Après une grève historique le 18 février 2022, les salariés de la RATP, s’estimant négligés par la direction, se sont à nouveau réunis pour poursuivre leur mobilisation. En cause, toujours, des revendications salariales, mais surtout, une opposition ferme au projet de privatisation du réseau de bus à l’horizon 2025. Reportage.

    Par Rémi Barbet
    Le 26/03/2022
  • Dix ans après Uber : les chauffeurs du 93 s’unissent pour l’indépendance

    Une coopérative nationale de chauffeurs VTC, basée en Seine-Saint-Denis, va naître en 2022, plus de dix ans après l'émergence du géant américain. En s’affranchissant du mastodonte Uber, les plus de 500 chauffeurs fondateurs de cette coopérative souhaitent proposer un modèle plus vertueux sur le plan économique, social, et écologique. Après nombre de désillusions. Témoignages.

    Par Rémi Barbet
    Le 14/02/2022