La cité, ce n’est peut-être pas la vie en rose, mais les placards y sont rarement vides longtemps. Surtout lorsqu’on se côtoie depuis des années. Tout se troque, se prête, se donne. Il y a maman qui envoie son petit avec un verre vide demander du sucre ou de la farine à la voisine. Ou le gamin qui toque à la porte pour des œufs ou un oignon. Mais les échanges et services rendus ne s’arrêtent pas là. Votre télé tombe en panne ? Allez en face. Sinon, adressez-vous aux jeunes en bas de l’immeuble. Avant la fin de la soirée, vous aurez un téléviseur dans votre salon. Certes, pas flambant neuf, mais c’est déjà ça !
On aura beau dire ce qu’on voudra, en banlieue, on s’entraide. Vous devez accompagner votre mère chez le docteur et vous n’êtes pas véhiculé, Aziz du 9e sera ravi de vous passer sa voiture. Votre voisin vous a vendu un ordi pas cher, mais voilà, vous n’avez pas encore accès à Internet. Pas de panique, grâce au « Wifi » et à Momo du premier qui vous passe sa clé « Wap », vous allez surfer sur le web. Votre famille habite l’autre côté de la mer, les appeler enflamme votre facture ? Hasna vous file son forfait avec appels illimités vers les fixes. Bien sûr, Hasna compte bien que vous en preniez un, un jour… La règle veut aussi que ça soit dans les deux sens. Sinon, vous serez vite catalogué : le crevard de la cité.
Dalila qui a déménagée d’une banlieue parisienne chic pour une cité du 91 était à mille lieues d’imaginer que ça pouvait se passer de la sorte. « La première fois, ça ma semblé inappropriée. On frappe à la porte et on vous demande tout et n’importe quoi. Impossible de faire ça là ou j’étais avant. J’aurais eu honte. » Mais maintenant, elle apprécie. « C’est tellement agréable quand vous êtes dans le besoin », dit-elle.
Il y a aussi, l’Arabe du coin qui n’y échappe pas à ce petit jeu. Mais lui, il joue dans la cour des grands : le crédit. Une situation qui n’est pas de tout repos. Car difficile de refuser. « Des fois, je le fais par générosité de cœur ; la petite dame qui a oubliée de prendre son portefeuille, je ne vais pas lui demander d’allez le chercher ! Elle me payera la prochaine fois », raconte l’épicier, la cinquantaine, propriétaire de son petit commerce. « D’un autre côté, des fois, les gens abusent. Cinq euros par-ci, cinq euros par-là, ça se chiffre et en plus il faut tenir les comptes et rappeler les gens. »
« Certains mois, j’ai 500 euros de crédit dans la nature. C’est difficile. Et en plus, les petits jeunes s’amusent à m’emprunter sous le nom des grands. Une fois, un petit vient me demander une canette et un paquet de chips. Il me demande de le mettre sur le compte d’un client qui a fait de la prison, qui fait peur, quoi. Bref, sentant le truc louche, je lui dis que si un tel veut quelque chose, il n’a que venir lui-même. « Je ne te donne rien à toi. » Vexé, le petit me regarde et me lance : « Il ne sera pas content, tu sais, si tu le fais déplacer comme ça. » Mais voila, je ne vais pas me plaindre, mon commerce marche de cette façon depuis des années. »
Il y a des limites à ce petit business. L’argent. Comme le dit une habitante de la cité : « Ça ne se demande pas, et puis les gens ont tellement peur pour eux, comment voulez-vous qu’ils donnent ? »
Nicolas Fassouli