J’ai toujours grand plaisir à retrouver ma terre natale : Bondy Nord. C’est ici que naissent tous les authentiques fils du pays bondynois, sur les bords verts fluo du canal de l’Ourcq, à l’hôpital Jean Verdier. J’ai immigré dans le sud de la ville quand j’ai eu deux jours, mais j’aime bien revenir au bled de temps en temps, avec mes beaux habits du dimanche. Seuls les Bondynois de souche peuvent ressentir cet amour de la terre d’asphalte. Pour tous les autres métèques nés à Bobigny, Bondy Nord, c’est le ghetto, la casse, la pauvreté de la misère qui fait peur, la banlieue de la banlieue, le Mordor !

Des infrastructures réduites à la portion congrue et des cités hautes comme le taux de chômage. Ce dernier occupe ici tout le territoire. Tout ? Non ! Car une poignée d’irréductibles Bondynois résiste encore et toujours à l’envahisseur. Ils se sont réunis au plein cœur de la cité du Marché dans un local de Planet Adam, un réseau de conseillers en création d’entreprise, pour une conférence débat sur l’entrepreneuriat.

Une salle remplie de bondynordiens qui  ont écouté pendant plusieurs heures, des patrons leur prodiguer conseils et espoir pour se lancer dans la création d’entreprise. Parmi eux, Younes Bourimech, habitant du quartier.

Il était au lycée avec moi. Je me souviens, je le regardais de haut dans la cour. On n’était pas du même monde comme qui dirait. J’étais en première Scientifique « du docteur de l’ingénieur spatial », comme disait mère à ses copines, lui était en STT, les STG de maintenant, les techniques. Moi j’allais devenir astronaute à la Nasa, lui apprenait surement à répondre au téléphone en cours de gestion je sais pas quoi.

C’est ça qui est beau dans la vie, tout n’est jamais acquis ou définitif. Je mangeais mes crottes de nez sur les bancs de la fac aux frais d’une bourse sociale quand il a créé, avec succès, sa première entreprise, juste après que  son père ait perdu son emploi. « Il s’est retrouvé au chômage du jour au lendemain, après 35 ans dans la même boîte pour un histoire de racisme. Il gérait des équipes de nettoyage et on lui a reproché d’embaucher que des noirs et des Arabes, les seuls ou presque qui veulent faire ce boulot. Dans la famille, on a sa fierté, il a claqué la porte. Je le voyais tout le temps à la maison, il me faisait mes tartines au Nutella. Ce fût un choc ! J’ai laissé tomber mes études de STAPS (Sport) pour créer une boîte dans le domaine de la propreté avec lui ». Le succès est au rendez-vous. Après seulement quelques années, sa boîte donnera du boulot à 40 personnes.

Pourquoi lui et pas les autres ? Dans beaucoup de cas, précise Mounir Azizi, responsable local de Planet Adam, la première barrière c’est les tracasseries administratives. « Il ne faut surtout pas en avoir peur, clame Younes Bourimech, les comptables sont là pour ça et les structures comme Planet Adam existent aujourd’hui pour nous aider».

Un tout jeune créateur d’entreprise, acquiesce : « Tous les trois mois je donne mon enveloppe de paperasses au comptable il s’occupe de tout, je le paye pour ça ». Sorti de l’école sans aucun diplôme, il est devenu plombier, ce corps de métier méprisé par nos professeurs qui voulaient tous qu’on fasse sociologie ou ethnologie, parce que gagner des sous avec les mains  pleines de cambouis c’est mal. Ce tout jeune entrepreneur va chercher ses clients en déposant sa carte dans les boîtes aux lettres, et le boulot ne manque pas. « Il faut juste aller le chercher », affirme Younes Bourimech.

Bien sûr, on ne fait pas les entreprises comme on fait les bébés, ce n’est pas que du plaisir. « 50% des entreprises créées ferment au bout de deux ans » explique Mounir Azizi. « Si après 5 ans vous êtes toujours à flot, c’est que c’est bien parti ».

Difficile donc, mais pas impossible. Younes Bourimech, conseille de ne pas voir trop grand au début, de commencer avec un petit capital, 5.000 euros peut suffire. Une stratégie qui permet de contourner les difficultés qu’ont les banques à donner leurs sous aux jeunes qui se lancent. Une fois en orbite, toujours se méfier du gros poisson : « Un contrat juteux peut être pire que pas de contrat du tout. Quand c’est trop alléchant, il y a sans doute un loup, il faut se dire. Si on ne vous paye pas et que vous n’avez pas les reins assez solides pour avancer les frais avant que l’argent rentre, vous coulez. On m’a fait le coup une fois, un contrat de 1000.000 euros qu’on m’a payé avec un an de retard. J’ai dû tout recommencer à zéro. »

Quand on crée une entreprise, on oublie les 35 heures : « Je sais même pas si je dormais 35 heures ! » confie monsieur Bourimech. « Mais on travaille pour soi, c’est très gratifiant » affirme  une demoiselle qui s’est lancée dans le maquillage.

Les questions fusent dans l’assistance. Le rêve est à portée de mains, même à Bondy Nord on peut devenir son propre patron, surtout à Bondy Nord je suis tenté de dire. Petit bémol, il n’y avait pas beaucoup de jeunes dans le public, pourtant les premières victimes du chômage. Ils auraient vu, au cœur de leur cité, dans les bureaux de Planet Adam, des gens comme eux, avec deux bras,  diplômés ou non, et la vie leur a aussi mis des séquoias dans les roues. Un jour une idée s’est allumée comme une petite braise dans leur tête, l’espoir s’est embrasé, ils l’ont alimenté avec le pétrole de leur sueur, aujourd’hui ils ont rejoint la grande famille du patronat.

Dernier conseil de Younes Bourimech, aux futurs entrepreneurs : « Du sérieux ! C’est la clef de tout. Plus que le réseau ! Être à l’heure, équipé et habillé en circonstance, montrez à celui qui va vous donner de l’argent que le travail sera fait et bien fait».

Idir Hocini

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