La file d’attente, longue, silencieuse, serpente dans le milieu du hall d’entrée. Des conseillères se faufilent au milieu de cette foule pour orienter les quelques égarés, ou bien simplement s’assurer que les machines ont indiqué les bonnes directions. Dans un coin, quelques chaises. Je m’assois, et engage la conversation avec ma voisine de gauche. Il s’agit d’une jeune femme venue avec son enfant. Elle me regarde me présenter d’un air souriant, mais dès la première question elle me répond qu’elle ne parle pas français. Je tente ma chance de l’autre côté, sans plus de succès. Quelques rangs plus loin, un couple de quinquagénaires m’explique qu’ils attendent leur premier rendez-vous. La femme a été licenciée du restaurant dans lequel elle travaillait depuis 15 ans, et son mari l’accompagne simplement dans sa recherche d’emploi. Je n’aurais pas le temps d’en savoir plus, un conseiller vient de les appeler.

Je repère alors un grand jeune homme bien mis, la tête couverte d’une casquette à larges bords, qui se tient debout près de la porte. Abdouaziz est doctorant en économie, il espère soutenir sa thèse cette année. Après avoir travaillé pendant deux ans comme assistant administratif dans une école primaire parisienne, en parallèle de ses études, il s’est inscrit à Pôle Emploi en avril dernier. Pour lui, il s’agit davantage de pouvoir toucher les indemnités chômage qu’un moyen de trouver un travail.

En huit mois je n’ai eu aucune proposition d’entretien, mais je ne m’en fais pas parce que pour l’instant je dois finir ma thèse. Les candidatures pour les postes que j’aimerais pourvoir, essentiellement dans l’enseignement, ne s’ouvrent qu’à partir de février. J’ai déjà quelques pistes et je compte plutôt chercher par moi-même.

“Le retour de l’emploi n’est pas pour 2015”

Arrivé du Sénégal après son bac, il y a 17 ans, Abdouaziz n’a jamais cessé d’étudier. Il accumule les diplômes, aussi bien en finance qu’en économie, théorique comme empirique. “Il n’y a pas une question économique à laquelle je ne puisse pas du tout répondre”, assure le jeune homme. Alors même si ses recherches actuelles portent sur un sujet complètement différent, je l’interroge sur la politique de l’emploi menée par François Hollande.

Je suis keynésien, donc pour moi c’est la consommation qui détermine le bon fonctionnement de l’économie. Si les gens consomment, alors les entreprises vont devoir produire plus, et par conséquent embaucher plus pour pouvoir soutenir cette demande croissante. C’est bien de favoriser l’offre avec des allègements de charges pour les entreprises [ce que prévoit le fameux “pacte de responsabilité”, entré en vigueur au 1er janvier], mais on s’expose à des comportements opportunistes de la part des patrons, qui n’en profitent pas forcément pour recruter de nouveaux salariés. A mon avis, il aurait été préférable de mieux combiner les deux approches pour résorber plus efficacement le chômage. De toute façon, il faudra attendre au moins un an avant de voir ces mesures porter leurs fruits. Le retour de l’emploi n’est pas pour 2015”, conclut l’économiste.

“Je m’inquiète plus de ma capacité à me vendre”

Abdouaziz est appelé à son tour et je retourne m’asseoir. Cette fois-ci, mon voisin est un jeune homme de 33 ans. Il recherche un emploi dans l’informatique, mais pour le moment il travaille comme agent de sécurité à l’agence Pôle Emploi de Saint-Denis, comme le prouve un badge qu’il cache sous son caban noir. “Je déteste rester chez moi à ne rien faire, alors je préfère m’occuper activement, en attendant de trouver un job qui corresponde à ma qualification”, déclare-t-il, inscrit au Pôle Emploi dans sa commune de résidence. “J’ai mis mon CV en ligne il y a deux jours, et trois entreprises m’ont déjà contacté pour passer des entretiens cette semaine. Je ne m’inquiète pas pour les compétences demandées, mais plutôt de ma capacité à me vendre.”

Un diplôme d’ingénieur en poche, il quitte l’Algérie pour la France en 2009, “parce que tous les amis étaient partis”. Il débarque à Metz avec 400€ en poche, sans même un toit pour dormir. Il se fait héberger par une association et survit en exerçant quelques petits boulots. Pas facile d’étudier dans ces conditions, et pourtant au bout de deux ans il parvient à décrocher un master en informatique. Après 7 mois de RSA sans recevoir aucune offre d’emploi dans son domaine, il décide de reprendre une formation en alternance à Paris, mais n’est pas embauché à l’issue de son contrat d’apprentissage, et se retrouve de nouveau au chômage.

Deux jeunes Indiens s’approchent alors de nous et coupent mon interlocuteur dans son récit. Ils bredouillent quelques mots, l’agent de sécurité les renvoie poliment. “Ils voulaient que je les inscrive par téléphone, mais je ne peux pas prendre ce risque. Et puis de toute façon, ils auront du mal à trouver quelque chose sans parler français…

Il est 17h10 et les employés du Pôle Emploi enjoignent les derniers retardataires d’évacuer les lieux. Les quelques témoignages que j’ai pu recueillir dans l’après-midi, s’ils illustrent la diversité des parcours, ne sont pas représentatifs du “chômeur moyen” – en général inscrit depuis 284 jours à Pôle Emploi et peu diplômé, un sur deux n’ayant pas le bac. Une étude inédite, publiée récemment par Pôle Emploi, a également montré que la crise excluait durablement du marché de l’emploi, avec un million de chômeurs français qui n’ont pas travaillé du tout au cours des douze derniers mois -soit deux fois plus qu’en 2007.

Thibault Bluy

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