Ce matin, Jean Pisani-Ferry, commissaire de France Stratégie, a remis aux ministres Myriam El Khomri, Laurence Rossignol et Patrick Kanner, un rapport inédit en France sur le coût économique des discriminations. Conclusion : un manque à gagner évalué à 150 milliards d’euros sur la base de 2015 à la richesse française.
C’est un rapport inédit et un chiffre révélé qui laissent de marbre. L’étude de France Stratégie, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, commandée en août 2015, révèle que le coût économique des discrimination atteint les 150 milliards d’euros, soit 6,9% du PIB, sur la base de 2015. Le groupe d’études a travaillé sur quatre critères très précis : l’accès à l’emploi, l’accès au temps plein, le niveau de salaire et la proportion de bacheliers. Mieux, selon l’organisme d’expertise rattaché au Premier ministre, la réduction des discriminations permettrait un gain de croissance évalué entre 80 et 310 milliards d’euros, selon les scénarios, sur les vingt prochaines années soit entre 3,6 % et 14,1 % de la richesse créée. Il faudrait pour cela que les femmes, les descendants d’immigrés d’Afrique-Maghreb, les natifs des DOM, les personnes vivant en zone urbaine sensible et les personnes en situation de handicap, ne soient plus discriminées dans l’accès à l’emploi et dans le niveau de salaire. Un long chemin à parcourir au vu des réalités vécues par nombre d’entre eux encore aujourd’hui, comme le rappelle le Défenseur des droits dans sa dernière enquête. Reste que jamais de tels chiffrages sur les conséquences économiques sur la richesse n’ont été auparavant réalisés.
Des actions de groupe pour attaquer en justice.
Pour Myriam El Khomri, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle, et du Dialogue social, cette étude « ajoute une corde à [leur] arc ». Et n’hésite pas à mentionner certains dispositifs mis en place récemment pour lutter contre les discriminations, tels que les « contrats starters », des contrats aidés dans le secteur marchand, l’engagement de Pôle Emploi pour le parrainage ou l’insertion de près de 8 400 jeunes des quartiers populaires. « Concernant la législation récente, je pense à la création de l’action de groupe dans le cadre du projet de loi Justice du XXIème siècle », insiste la ministre. « Ce nouveau droit permettra d’attaquer les discriminations collectives qui peuvent toucher des candidats ou des salariés ». Reste que pour l’instant l’action collective sur les discriminations n’est pas encore votée, le projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, étant de nouveau en nouvelle lecture au Sénat dès ce mardi. « Je pense également à l’amendement initialement déposé par le député Daniel Goldberg […] qui vise à inciter les acteurs territoriaux de l’emploi, services publics et associations spécialisées, à travailler ensemble pour permettre aux jeunes diplômés, résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, d’accéder à l’emploi« . Laurence Rossignol annonce pour sa part la présentation imminente d’un plan en faveur de la mixité des métiers dans le numérique. « C’est une filière souvent présentée comme la filière d’avenir mais quand je regarde la place des femmes dans le numérique, 13 % aujourd’hui, je trouve que l’avenir ressemble cruellement au passé », regrette la ministre.
Une convention entre Mozaik RH et Pôle Emploi
Pour Saïd Hammouche, fondateur de Mozaïk RH, un cabinet de recrutement spécialisé dans la promotion de la diversité, cette étude est un moment très important dans la lutte contre les discriminations. « Pour la première fois, on déclare que c’est un sujet social mais aussi économique. On court après les milliards pour boucler les budgets de l’État. Là, on a une réponse tout faite. Il suffit simplement de croire en la valeur de l’égalité pour pouvoir créer plus de justice entre les citoyens. Et faire en sorte que chacun trouve sa place au regard de l’effort qu’il fournit. Si on applique ce principe, c’est une manière de trouver des solutions durables pour la société. On avait besoin d’un rapport officiel. Aujourd’hui, on voit que la lutte contre les discriminations est plus que nécessaire. Pour nous, il y a une suite qui est très intéressante. Dans quelques semaines, grâce à Myriam El Khomri, nous allons signer une convention au niveau national avec Pôle Emploi, pour accélérer ce processus ».
Des sanctions pour les grandes entreprises ?
Reste que pour certains militants associatifs, c’est la question de la sanction envers les entreprises qui est essentielle. C’est le cas de Samuel THOMAS, Délégué Général de la Fédération Nationale des Maisons des Potes, pour qui rien ne changera tant que les sanctions ne tomberont pas. « On ne peut pas laisser les gens en souffrance en laissant pratiquer la discrimination. Au delà du coût pour le pays, c’est le coût pour les individus qui est à l’origine du combat pour l’égalité, contre les discriminations, que mènent les Maisons des Potes. Le coût économique a un impact. Cette démonstration aurait dû être faite aujourd’hui par un gouvernement qui déclare qu’en conséquence, il décide que les entreprises de plus de 1 000 salariés épinglées par des opérations de testing, soient sanctionnées financièrement », regrette le militant associatif. Il déplore le fait qu’on attrape des entreprises mais qu’on ne les sanctionne pas. « On leur dit que ce n’est pas bien, qu’il ne faut pas recommencer. C’est comme si on mettait des radars qui affichaient que le dépassement de la vitesse autorisée, mais vous ne recevez pas de sanctions, et on attend que vous changiez de comportement. Est-ce qu’on ferait reculer les vitesses ainsi ? » . « Nous serons intraitables avec les entreprises qui ne prendraient des mesures uniquement cosmétiques. Nous n’aurons alors aucun état d’âme à désigner les mauvais élèves. » Désigner oui, mais les sanctionner ?
Rouguyata SALL