Ils étaient environ 80 à se donner rendez-vous mercredi 3 janvier devant l’hôtel Holiday Inn de Clichy pour donner de la voix à leur grève. Ces derniers jours, la dizaine d’agents d’entretien, de gouvernantes et de femmes de chambre de l’Holiday Inn de Clichy a multiplié les actions pour se faire entendre : manifestation à Clichy, occupation de l’entrée de l’hôtel Holiday InnExpress Paris-Canal De La Villette et mobilisation ce mercredi 10 janvier à Bruxelles. Tout cela en moins d’une semaine.

« Mutation forcée »

Tout a démarré le 19 octobre 2017. Blandine, gouvernante depuis 11 ans à l’Holiday Inn de Clichy, est contrainte par son employeur Héméra, la société sous-traitante de nettoyage depuis décembre 2016, d’aller travailler, dès le lendemain, dans un hôtel de la chaîne à La Défense, à plus d’une heure de chez elle. Une décision rendue possible par une clause de mobilité inscrite sur leur contrat de travail. Une mutation « forcée » dénonce-t-elle avec certains collègues.

Ils s’y opposent et lancent alors leur mouvement : sur les 33 salariés de l’hôtel de Clichy recensés par la CGT, 12 cessent le travail. Depuis, ils dénoncent avec vigueur leurs conditions de travail dans cet hôtel de 260 chambres et plus globalement la sous-traitance dans l’hôtellerie. Aujourd’hui, ils arrivent à leur 86ème jour de grève.

Eric Montchamp, gréviste, salarié depuis 5 ans à l’Holiday Inn de Clichy.

« Cadence de travail infernale », « esclavage moderne »

Shirley, 38 ans, est gouvernante à l’hôtel Holiday Inn de Clichy depuis 2007. Elle a entre autres tâches le nettoyage des chambres, un travail « pénible » tient-elle à préciser. « Oui, on fait un métier très difficile. On doit nettoyer les chambres dès le départ des clients dans un laps de temps très court, tout cela dans une cadence infernale ! » Eric Montchamp travaille depuis cinq ans à l’Holiday Inn de Clichy. Le gréviste va plus loin dans la critique. « C’est une sorte d’esclavage moderne. Vous vous rendez compte, on ne bénéficie même pas d’un statut social équivalent à ceux employés directement par l’hôtel ! C’est une honte. Pour la direction du groupe hôtelier et celle d’Héméra ».

« Cette lutte, c’est une question de dignité dès le départ, précise Ignace Combé, agent de service au sein de l’hôtel depuis plusieurs années et en grève depuis le début. On n’a pas de prime de panier repas, les heures supplémentaires que nous réalisons restent souvent impayées ».

Shirley, 38 ans, est gouvernante à l’hôtel Holiday Inn de Clichy depuis 2007.

Réinternaliser les emplois

L’une des principales revendications portées par les grévistes est de ne plus être employés par le prestataire de nettoyage Héméra. S’en suivent le paiement des heures supplémentaires, l’obtention d’un treizième mois et d’une prime de panier repas, inexistante à ce jour.

« On demande à ce que nos emplois soit internalisés au sein de l’hôtel et que nous devenions salariés du groupe Holiday Inn pour avoir les mêmes droits. On sera mieux protégé ainsi », estime Shirley. Étienne Deschamps est à leurs côtés depuis le début du mouvement. Ce syndicaliste de la CNT Solidarité ouvrière est remonté. « Les grévistes réclament l’annulation des mutations arbitraires imposées par la direction d’Héméra. Elles sont scandaleuses ! Quant à une reprise par Holiday Inn, les directions du groupe fait la sourde oreille ! Jusqu’à quand ? »

Nouredin Seddik est salarié d’un autre établissement, luxueux, l’hôtel Crillon situé place de la Concorde à Paris. « Leur lutte est aussi la nôtre. Nous nous sommes battus au sein de mon hôtel pour que nos métiers ne soient pas externalisés. Nous l’avons obtenu. Nous sommes aux côtés des grévistes de l’hôtel Holiday Inn pour que leur combat soit victorieux. Ils peuvent compter sur notre soutien ».

Internationalisation de la mobilisation

Les revendications des grévistes sont partagées à l’échelle européenne par d’autres salariés du secteur hôtelier. Après s’être rendu à Londres, Barcelone et Toulouse, neuf d’entre eux se sont rendus à Bruxelles mercredi 10 janvier, dans un car affrété par les syndicats. Au programme : manifestation devant l’hôtel Crown Plaza, propriété du groupe InterContinental, comme Holiday Inn, défilé jusqu’à l’établissement Holiday Inn de Bruxelles. « Notre objectif c’est de faire du 1er mai 2018 une manifestation européenne contre la sous-traitance« , annonce Tiziri Kandi, syndicaliste au sein de la CGT HPE, Hôtels de Prestige et Économiques.

Ils sont revenus avec des promesses politiques. L’équipe de l’eurodéputé, Patrick Le Hyaric, du groupe Gauche unitaire européenne / Gauche verte nordique, les a reçus au parlement européen en assuré de son soutien. « Nous avons peu de pouvoir sur le plan législatif, mais sur le plan politique, nous avons de l’influence », explique Jonathan Gueraud-Pinet, assistant parlementaire du député européen. Ce que les enseignes comme Holiday Inn ne veulent pas, c’est avoir mauvaise presse. Nous pouvons prendre position, prendre la parole publiquement« , proposant de faire une vidéo des grévistes avec Patrick Le Hyaric « dès la semaine prochaine » dans les locaux du quotidien communiste L’Humanité, dont Patrick Le Hyaric est directeur.

« C’est devenu politique », lâche Mirabelle à la sortie de l’entretien, dans le décor futuriste et confortable du parlement européen. Maintenant on verra ce qu’ils vont faire. Eux, ils font de la politique ici, au chaud. C’est nous qui avons froid dehors durant la grève ». 

« Nous ne sommes que des petites mains invisibles et corvéables à merci, constate Eric. Mais cela est terminé! On ne lâchera rien! »

Ndeye SAMB, Mohammed BENSABER avec Alban ELKAIM

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