Qui sont-ils ? Pourquoi se lancent-ils dans l’entrepreneuriat ? Comment financent-ils leurs projets ? Bien difficile d’avoir une vision globale sur ces questions. L’Agence pour la diversité entrepreneuriale (ADIVE) et la Nouvelle PME ont donc fait appel à Opinionway pour tenter d’apporter un éclairage sur cette communauté d’entrepreneurs. Jeudi dernier dans le très bobo quartier parisien du Canal Saint-Martin, au 80 Quai de Jemmapes, les résultats de cette étude, présentée comme une première, ont été dévoilés.

Un constat, d’emblée : ceux qui embrasse une carrière d’entrepreneur sont en grande majorité des actifs : 75% ont été salariés avant la création de leur entreprise, dont 62 % dans le même secteur. « On pense à tort que les entrepreneurs des quartiers se lancent dans l’aventure car ils sont sans emploi. Les chiffres annoncés remettent les choses en place », affirme Majid el Jarroudi, délégué général de l’ADIVE.

La création d’entreprises dans les zones sensibles ne serait pas un choix par défaut ou par nécessité, mais bien une orientation réfléchie, selon l’étude : 50% des entrepreneurs interrogés disent avoir choisi cette voie pour devenir patron, 30% pour gagner de l’argent et 26% pour développer une idée. Des aventuriers diplômés de surcroît : 63% d’entre eux possèdent au minimum un Bac +2, un chiffre similaire à la moyenne nationale.

Autre constat, ces entreprises créent des emplois dans les quartiers : 24% des entreprises ont recruté au moins un habitant en zone urbaine sensible. On note que 23% de ces embauchés habitent dans les quartiers et que 72% résident en dehors. Moteur de l’économie locale, l’entreprise de quartier s’implique aussi dans le social : 41% des patrons des cités ont le sentiment de contribuer au social. Chose à peine croyable, malgré le contexte de crise, près de 33% des entrepreneurs affirment n’avoir jamais rencontré de difficultés. Cerise sur le gâteau, ils sont optimistes pour l’avenir.

Ainsi, en analysant les résultats de ce sondage, on note que les entreprises des quartiers ne sont pas si différentes des autres. Avec deux particularités : les entrepreneurs sont plus jeunes que la moyenne, et il se crée deux fois plus d’entreprises que dans le reste du territoire. Alors tout va bien, Monsieur Opinionway ?

Reste peut-être le problème de l’accès au crédit et au marché public. Depuis la crise financière de 2007, les entreprises en France rencontrent des difficultés de financement. Déprime des marchés oblige, les banques sont de plus en plus frileuses quand il s’agit d’accompagner des porteurs de projet. Surtout lorsqu’ils ont très peu d’apport, sont jeunes et novices dans entrepreneuriat.

Les quartiers ne sont pas épargnés par cette conjoncture. Avec un handicap supplémentaire : les entrepreneurs qui y œuvrent, s’impliquent dans des secteurs qui n’intéressent pas les banques : commerces et restaurations. « Nous sommes très réticentes à accompagner des porteurs de projet dans des activités comme la restauration rapide, le taxiphone, le bâtiment. On réclame des emprunteurs un certain nombre de garanties : caution d’un particulier ou d’un organisme, hypothèque d’un bien… Et très souvent, ils ne possèdent pas ce type de garanties », explique Jean Michel Rouland, conseiller professionnel dans une banque parisienne. Résultat : les entrepreneurs des quartiers utilisent leurs fonds propres pour démarrer leur activité. Prés de 93% d’entre eux utilisent un apport personnel.

Autre problème, l’accès au marché public. Difficile en effet de décrocher un contrat public lorsqu’on est issue des zones sensibles urbaines : système opaque et lourd. Même si depuis quelques années, les pouvoirs publics ont la possibilité de céder des marchés sans appel d’offre s’ils sont inférieurs à 20 000 euros. Mais c’est encore très théorique. Abdallah Aboulahrjan, membre de la Nouvelle PME : « Les entrepreneurs des quartiers éprouvent des difficultés à accéder aux marchés publics. Nous agissons dans le sens d’une meilleure ouverture. » Parmi les pistes : le Small Business Act, une méthode américaine. Une sorte de discrimination positive à destination des zones urbaines sensibles.

 Chaker Nouri

Photo : rencontre d’entrepreneurs de quartiers, au 80 Quai de Jemmapes, à Paris.

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