Fabio Lucci est un commerce de vêtements discount implanté un peu partout en France, notamment en région parisienne. Il y en a un dans mon quartier au métro de la Porte de Pantin. La plupart des familles du coin qui vivent de modestes revenus habillent leurs enfants là-bas en général. Surtout en période de rentrée scolaire, lorsque les parents reçoivent l’allocation vers la fin du mois d’août. C’est l’occasion pour eux d’envoyer leurs enfants à l’école dans des habits neufs et fashion de pas trop mauvaise qualité.

Auparavant, ceux qui effectuaient leurs achats dans cette enseigne ne le criaient pas trop sur les toits. Aujourd’hui, plus personne n’a honte de dire qu’il s’est acheté un pantalon slim à 9,99 euros chez Fabio. Les économies n’ont plus de prix.

Ce train-train s’est arrêté. Depuis le 27 mars, une vingtaine de personnes tiennent un piquet de grève devant le magasin de la Porte de Pantin. Et cela fait sept jours qu’un blocage est organisé à l’entrée par des militants pro-sans-papiers, des associations de défense des droits de l’homme et la CGT. Cette action a été montée pour soutenir les revendications des vigiles du magasin. Sur une banderole, on peut lire: « Les travailleurs sans papiers exigent leurs salaires impayés depuis février 2008 ainsi que leur régularisation. » Les vigiles du magasin Fabio Lucci sont en majorité d’origine africaine. Dix d’entre eux n’ont pas été rémunérés depuis le mois de février.

Je trouve étonnant que le patron ne soit pas plus gêné que ça par tout ce tapage organisé à l’entrée de son magasin. On dirait qu’il ne craint ni pour son image ni de perdre sa clientèle. Intriguée, je m’approche des vigiles pour leur poser des questions mais ils ne tiennent pas trop à me parler, et semblent avoir peur de s’exprimer.

J’aperçois alors un homme d’une quarantaine d’année qui porte un autocollant « CGT » sur le bras. Il s’appelle M. Fargeot (n’ai pas pensé à lui demander son prénom) et a déjà fait partie d’un mouvement de soutien de sans papiers dans un restaurant du 16e arrondissement de Paris il y a quelques semaines. Aujourd’hui, il est là pour soutenir les vigiles et les aider à faire valoir leurs droits, voici ses explications.

« Depuis des années, les salariés signent des petits contrats. Ce sont des contrats à durée déterminée d’un mois ou deux, et avant d’être dans l’obligation de leur proposer un contrat à durée indéterminée, les patrons ne renouvellent pas de contrat pendant 15 jours, puis proposent à nouveau des CDD. Les contrats de trois mois donnent obligatoirement droit à un CDI, c’est la raison pour laquelle ils utilisent cette méthode ! Les salariés acceptent ces conditions plutôt que de se retrouver sans emploi. Aujourd’hui, Fabio Lucci organise l’esclavage moderne puisqu’il fait travailler ses ouvriers sans les payer.

– Comment ça ?

– Oui, ça fait deux mois que les vigiles n’ont pas été payés.

– Pourquoi ?

– Parce que Fabio Lucci sous-traite les contrats de ces employés-là à des sociétés tiers. Or, la société FIPS, l’un des sous-traitants, refuse tout bonnement de les payer bien qu’elle empoche des commissions.

– Avez-vous pu rencontrer la société de sous-traitance pour en discuter avec elle ?

– La dernière fois qu’ils ont donné un rendez-vous pour trouver un accord, ils ont annulé le jour même pour cause d’hospitalisation de dernière minute. Depuis, nous n’avons plus eu de contact avec eux, impossible de les joindre.

– Et le responsable du magasin Fabio Lucci, quelle solution propose-t-il?

– Fabio Lucci refuse carrément le dialogue en argumentant que ces vigiles ne sont pas ses employés directs. Or Fabio Lucci est quand même les donneurs d’ordres et semble oublier qu’il est impliqué au titre de la responsabilité sociale de l’entreprise.

– Quelle issue envisagez-vous à cette affaire ?

– Nous avons donc été dans l’obligation de déposé un dossier en référé pour assigner l’ensemble des employeurs concernés devant le conseil des prud’hommes. On ne négociera plus avec les affameurs et nous resteront mobilisés jusqu’à l’obtention complètes de nos revendications, à savoir : un contrat de travail en bonne et due forme ; les salaires dus ; les feuilles de paie ; la régularisation des 7 sans papiers qui travaillent. » Les caissières quant à elles, ne se montrent pas et continuent de travailler à leur poste, malgré le blocage, comme si de rien n’était. Pourtant, aucun client à leurs caisses !

Les vigiles en sont donc à leur 27e jour de grève et les manifestants entament leur 7e jour de blocage du magasin. Ce qui a fait réagir le propriétaire, qui a versé une avance de paiement de 1000 euros par gréviste sur le salaire du mois de mars. Une somme de 100 euros d’acompte à été versée pour le mois de février. Des grévistes prétendent que certains chèques sont revenus impayés et affirment que « les entreprises de sécurité en sous-traitance qui travaillent pour Fadio Lucci sont des repaires d’escrocs, complices du donneur d’ordre ».

Samedi dernier, Fabio Lucci aurait envoyé deux fois de suite un huissier, facturé à 500 euros, pour faire constater le blocage en vue d’une action en justice. Jusqu’à présent, il ne m’a pas été possible de rencontrer la direction du magasin pour entendre sa version des faits.

Nadia Méhouri

Récents articles sur la problématique des sans-papiers:

http://20minutes.bondyblog.fr/news/neuilly-cuisiniers-salaries-mais-sans-papiers-en-greve

http://20minutes.bondyblog.fr/news/sara-regularise-apres-17-ans-de-presence-en-france

Nadia Méhouri

Articles liés

  • Dans les quartiers, le nouveau précariat de la fibre optique

    #BestofBB Un nouveau métier a le vent en poupe dans les quartiers populaires : raccordeur de fibre optique. Des centaines d’offres d’emploi paraissent chaque jour, avec la promesse d’une paie alléchante. Non sans désillusions. Reportage à Montpellier réalisé en partenariat avec Mediapart.

    Par Sarah Nedjar
    Le 18/08/2022
  • Privatisation : les agents de la RATP défient la loi du marché

    Après une grève historique le 18 février 2022, les salariés de la RATP, s’estimant négligés par la direction, se sont à nouveau réunis pour poursuivre leur mobilisation. En cause, toujours, des revendications salariales, mais surtout, une opposition ferme au projet de privatisation du réseau de bus à l’horizon 2025. Reportage.

    Par Rémi Barbet
    Le 26/03/2022
  • Dix ans après Uber : les chauffeurs du 93 s’unissent pour l’indépendance

    Une coopérative nationale de chauffeurs VTC, basée en Seine-Saint-Denis, va naître en 2022, plus de dix ans après l'émergence du géant américain. En s’affranchissant du mastodonte Uber, les plus de 500 chauffeurs fondateurs de cette coopérative souhaitent proposer un modèle plus vertueux sur le plan économique, social, et écologique. Après nombre de désillusions. Témoignages.

    Par Rémi Barbet
    Le 14/02/2022