Les médias ont tellement parlé de Florange-Mittal-la-sidérurgie, ces mots devenus complètement indissociables. Juliette a voulu voir en vrai. Visite.

photo(1)photo(1)J’avoue que la sidérurgie me rappelle le programme de 3e quand on étudie la révolution industrielle à la fin du XIXe siècle. Le traitement du minerai de fer et la période à laquelle on associe aussi Zola, Germinal et le capitalisme paternaliste. Je m’attendais à une ville aux façades tristes et grises, il n’en fut rien. Après les emballements médiatiques, la mobilisation des ouvriers, les négociations avec Mittal et finalement l’arrêt définitif des hauts fourneaux de Florange le 24 avril dernier, j’ai voulu voir à quoi ressemblait cette municipalité.

L’arrivée dans la ville met tout de suite au diapason : une espèce de grand pipeline forme un pont à l’entrée de la ville et on devine à sa gauche des bâtiments d’usine.  Des maisons cossues et fleuries et une petite cité (si on garde le 9-3 comme maître-étalon) composent cette ville proprette. En cette journée de montée au ciel du Christ, l’Ascension,  la ville n’est pas très animée : les cafés sont fermés, la librairie propose les titres du moment et la devanture des pompes funèbres est éclairée. Sur la place François Mitterrand est sise la mairie qui arbore cette banderole « Oui au maintien de la sidérurgie de Lorraine. Florange veut vivre. » La mairie soutient les ouvriers de la sidérurgie, pas de doute.

photoLa rue principale et l’église Sainte-Agathe (patronne des nourrices, des bijoutiers, des fondeurs de cloche, des villes de Catane et de Palerme, ainsi que de l’île de Malte) arborent des reproductions de photographies de Florange à la belle époque industrielle. Un rappel à l’héritage de la ville et de la région : la vallée de la Fensch et la sidérurgie est une histoire qui dure depuis 3 siècles. A l’heure du capitalisme financier, le traitement du fer de Florange n’est pas au mieux de sa forme. Peu d’habitants sont au dehors, certains regardent part la fenêtre ce qui se passe dans la rue, le rideau à la main. Si on leur fait signe amicalement, ils répondent pareillement de la main. Les rares piétons – enfants comme adultes – n’hésitent pas à adresser de grands « Bonjour ! » lorsqu’ils se croisent. Plusieurs groupes d’enfants jouent dans les jardins publics ou aux pieds des immeubles. Un groupe de personnes sort de la piscine en cette fin de journée et les joggeurs rentrent avec leur sac de sport à la main.

photo(5)La petite cité encadre un parc. Une dizaine d’enfants joue au foot sur un terrain multisports (foot/basket) et sous la surveillance d’un adulte qui prodigue ses conseils. Un couple à lunette de soleil se promène. Deux jeunes filles d’une dizaine d’année font du roller et trois adolescentes sur un banc discutent de Facebook, parlent du trop fameux « allô » de Nabila. Ont-elles toujours vécu ici ? A quoi rêvent-elles ? Que représente l’affaire ArcelorMittal pour elles ? Je noue le contact avec elles. Elles ont entre 16 et 18 ans, elles habitent Florange et se réjouissent qu’il n’y ait pas classe aujourd’hui, ni demain d’ailleurs. Un peu plus tôt dans la journée elles ont marché jusqu’au centre Leclerc mais c’était fermé… ça aura fait une belle balade. Les deux gamines en roller en sont à leur quatrième tour de piste. Pour l’affaire ArcelorMittal bien sûr les trois adolescentes connaissent l’histoire, comme tout le monde. L’une d’entre-elles me dit, « la première fois qu’on en a entendu parlé dans le journal, j’ai été prévenue par SMS, je pensais que c’était dans la Lorraine, je ne pensais pas que c’était à Florange ».

Une autre renchérit : « ah oui on a été choqué, quand c’est passé au 20h … déjà que pour les Parisiens, ici, ils appellent ça la campagne, alors passer au 20h national ça a été quelque chose ! » Le ballon s’échappe du terrain de foot et un jeune garçon  court après, il nous salue. La jeune fille reprend : « après c’est sûr il y a eu de la mobilisation, les médias sont venus mais pour les habitants de la ville c’était comme d’habitude, enfin leur vie n’a pas changé, c’est plutôt pour ceux qui y travaillaient … c’est vrai que si on n’y travaille pas on se sent moins concerné. Nous c’est le lycée, c’est sûr que mon père y a travaillé quelque temps, il suit ça de près.  Mon grand-père a travaillé là-bas, il a émigré pour venir travailler ici en Lorraine. Il reste encore ThyssenKrupp dans le coin mais après… » L’incertain. Je leur demande si rejoindre ArcelorMittal était dans leur projet professionnel (il n’y a pas que des postes d’ouvrier dans une usine), réponse négative pour toute les 3. L’usine c’est vraiment si on ne peut pas faire autre chose. Il leur semble que les exigences au niveau du bac (qui approche !) deviennent chaque année de plus en plus difficile mais elles ont bon espoir de continuer les études et de trouver quelque chose.

photo(5)Gandrange est à moins de 10 kilomètres, je décide de voir ce qui se passe de ce côté et rencontre Pierre qui a entre 25 et 30 ans. Il me confirme que la sidérurgie c’est une question de génération, ce sont les plus âgés qui sont concernés. Florange, Gandrange sont des petites villes tranquilles, des villes-dortoirs. « L’activité dans le coin c’est plus dans les zones commerciales et au Luxembourg, il y a beaucoup de frontaliers qui habitent ici ». Pour l’industrie son diagnostic est sans appel : « après ArcelorMittal ici il n’y aura plus rien, la région est complètement sinistrée. » Nous sommes devant la mairie. Sur les bâtiments administratifs une banderole annonce « Gandrange avec Florange ». Pierre confirme : « Gandrange est très solidaire de Florange. Le site a été fermé en 2009 et certains ouvriers ont été reclassés à Florange. Ce n’est pas seulement la Lorraine qui est concernée, il y a aussi Fos-sur-Mer dans le Nord et puis vers Liège en Belgique ArcelorMittal a fermé aussi (les sites de Seraing et Ougrée). »

Aujourd’hui la place de la mairie est vide, Ségolène, Nicolas Sarkozy sont venus, la petite place était envahie se souvient-il. Et aujourd’hui que reste-t-il ? Les maisons ouvrières typiques construites à l’époque par les propriétaires pour loger la main d’œuvre et puis la plaque commémorative des paroles de Sarkozy à Amnéville, peut-être qu’elle y est encore. Au bout de la rue on voit un grand corps de d’usine, complètement noir. Oui, c’est bien l’usine de Gandrange, elle est fermée, plus personne n’y travaille, peut-être qu’elle va être démolie. Pierre m’indique comment trouver l’entrée de l’usine. Il faut aller à Boussance, c’est à 3 minutes d’ici mais il n’y a rien à voir ! J’y vais quand même. On traverse les quelques rues de Boussange pour rejoindre la zone industrielle, on dépasse quelques entreprises de transport de poids lourds, de transport de froid et puis au bout de la rue, comme face à une impasse les grilles de l’entrée Nord du site de Gandrange.

Juliette Joachim

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