Les SCOP (Société coopérative et participative) séduisent de nombreux entrepreneurs dans les quartiers populaires.  François Longérinas secrétaire général du parti de gauche, et lui-même à la tête d’une SCOP (EMI-CFD) revient sur ce type d’entreprise et sur l’économie sociale et solidaire, dont il est spécialiste. Interview.

Quelle est la différence entre une entreprise classique et une entreprise de type SCOP ?


La principale différence entre une SCOP et une entreprise capitaliste, c’est son organisation démocratique. C’est-à-dire, que ce sont les salariés qui décident de la stratégie de l’entreprise, de son fonctionnement. Et puis il y a une autre différence c’est que le profit et les distributions de dividendes sont totalement secondaires dans le projet. Si jamais il y a des bénéfices, ils sont principalement reversés à l’entreprise et non à chaque sociétaire. C’est donc une lucrativité limitée ou parfois non lucrativité.

Selon vous, les quartiers populaires sont-ils des endroits propices pour une économie sociale et solidaire (ESS) ?

On peut dire que ce sont des endroits propices, ça dépend ce qu’on appelle l’économie sociale et solidaire (ESS). Surtout qu’aujourd’hui cela a été cadré par une loi votée l’été dernier. D’une certaine manière on peut dire qu’on ne sait plus trop ce que ça veut dire. En fonction de ce qu’on interprète là-dedans, l’intérêt c’est que ça se développe en banlieue. Ce que je veux dire par-là, c’est que l’intérêt historique de l’ESS, est que dans le monde de l’activité en général il y ait la jonction de deux repères, valeurs qui sont d’avoir des activités utiles pour toute la société, utiles socialement, d’intérêt général.

D’un autre côté, il y a un fonctionnement dans les structures qui est démocratique. S’il y a les deux à la fois c’est une ESS qui peut paraître intéressante. Or, la loi a complètement négligé le côté démocratique, c’est-à-dire qui décide. Il n’y a aucune obligation dans la loi de ce côté-là. On peut dire, on fait pour le mieux, mais en fait que ce soit des gens qui s’occupent de leurs propres affaires ce n’est pas très important dans la loi telle qu’elle est. Parce que la loi a été trustée par des gens qui font ce que j’appelle du business social. Donc ça dépend, avant de parler banlieue il y a une ESS qui a du sens et une seconde qui est en fait une autre manière, parlons franchement, pour le capitalisme de faire du social. Pour moi, ce n’est pas une ESS telle que je l’entends.

Dans votre livre « prenons le pouvoir » vous citez Paul Eluard « un autre monde est possible, mais il est dans celui-ci ». Comment développez-vous cet autre monde en banlieue ?

Ce développement se fait en majeure partie grâce aux nombreuses initiatives citoyennes. Il y a de plus en plus de SCOP en banlieue dans tous les domaines, des AMAP, des ressourceries, des jardins partagés, des régies de quartier qui sont souvent plus développées en banlieue qu’en centre-ville ou en métropole.

Quel est l’intérêt du développement de l’ESS en banlieue ?

Pour moi l’intérêt principal de l’ESS en banlieue sous un angle progressiste c’est que cela redonne de l’espoir aux gens. C’est-à-dire qu’on peut réussir à faire des choses positives soi-même, entre habitants d’un même quartier. Donc ça dit finalement, que ça vaut le coup de se battre parce qu’on réussit des projets et que si on réussit des projets de cette taille, peut être qu’un jour on va réussir des projets encore plus grandioses.

Lors des dernières élections municipales, beaucoup de villes de banlieue ont basculé à droite. Est-ce un signe de désolidarisation alors que l’ESS a besoin d’une solidarité pour exister ?

Je pense que c’est un double mouvement qui est lié, il y a d’une part le fait que l’esprit libéral, le chacun pour soi se sont installés dans les banlieues comme ailleurs. Donc ceux qui disent comme la droite, la vie c’est la compétition entre les gens et c’est comme ça que ça va marcher et il n’y a pas d’autres solutions, gagnent les élections. Mais c’est aussi, qu’on le veuille ou non, la gauche qui a fait des erreurs aux municipales. Et là on rentre dans la politique, mais les deux années que nous avons passées avant ces élections ont été catastrophiques pour la gauche puisqu’au niveau de l’exécutif ce n’est pas un projet de gauche qui est mené. La majeure partie de la défaite de la gauche est quand même liée à un abandon. En 2012, les gens ont voté pour une politique de gauche et elle n’est pas faite, donc les gens ne vont même plus voter. On ne passe pas aussi facilement d’un vote de gauche à un vote de droite, c’est que les gens ne vont pas voter.

Le bilan du ministère de l’économie sociale et solidaire, est-il de gauche ou de droite ?

Bonne question. Il est les deux à la fois c’est-à-dire qu’il y a des niches dans cette loi qui sont positives. Par exemple, le fait de favoriser la reprise en SCOP par ses salariés à savoir un système d’amorçage qui permet de monter en puissance pour créer la SCOP c’est plutôt une bonne chose. En revanche ils ont complètement « canné » sur le droit de préemption, car le fait que les salariés aient le droit de reprendre leurs entreprises en SCOP n’est pas dans la loi. Et le gouvernement ne parlait même pas d’une loi de préemption, mais d’une loi de préférence qui va sûrement finir par sauter complètement parce que le MEDEF et Emmanuel Macron n’en veulent pas. Il y a des petites avancées, comme la reconnaissance de certaines choses qui sont pas mal. Globalement, cette loi on ne peut pas dire si elle est de droite ou de gauche, mais on peut clairement dire que c’est un échec pour la gauche.

Parlons de cas précis d’entreprises, PSA Peugeot Citroën Aulnay par exemple. Aurait-elle dû être reprise en SCOP ?

S’il faut nationaliser des grosses structures comme l’automobile ou la sidérurgie, on doit les faire fonctionner de manière démocratique, sinon ça ne marchera pas non plus. C’est-à-dire que les nationalisations à la soviétique comme ce qu’on a connu après la Seconde Guerre mondiale ou en 1981 ça ne marcherait pas. Il faut que les salariés soient associés aux décisions. Ce n’est pas une nationalisation étatique qui tombe du ciel, si les gens n’ont pas le droit de décider ça ne marchera pas. On ne peut pas inventer un nouveau système de gauche si on ne tient pas compte des erreurs du passé. Quel que soit l’outil SCOP ou nationalisation, il faut que ce soit démocratique. C’est-ce que j’appelle la socialisation des moyens de production.

Si PSA Aulnay devient une SCOP comment peut-elle s’organiser face à la concurrence des marchés internationaux ? On a vu des cas comme le groupe FAGOR qui s’est complètement effondré  lors de son passage à l’international.

Ce n’est pas la taille qui est cause. Il y a des SCOP en France qui font 1000-2000 salariés, les chèques-déjeuner par exemple. Donc ça existe les grosses SCOP. Là, le problème dans un secteur qui est essentiel c’est qu’il faut qu’il y ait une alliance entre les salariés et les pouvoirs publics sinon on ne peut pas y arriver. Et cela passe par l’idée de ce que j’appelle la planification écologique et démocratique. Si on veut faire face aux marchés, il faut qu’il y ait une sorte de protection au sein de l’Europe. Lâcher tout seul dans la nature ils vont perdre, mais si on les protège un minimum ça peut marcher. Cette protection européenne devrait arriver de cette manière à ne pas accepter n’importe quelle marchandise, car ce qu’on vise quand même c’est une répartition des richesses et des productions à l’échelle internationale. Il faut arrêter cette mondialisation où tout le monde se fout sur la gueule. On produit plus que nécessaire d’un certain point de vue donc il faut aussi adapter la production au besoin réel des populations. Et dans ce cadre-là, une usine comme PSA est bien sûr capable de résister.

Quel(s) problème(s) rencontre (nt) actuellement les entreprises ?

Le principal problème pour moi c’est qu’on a de plus en plus de mal à se projeter dans la situation de l’économie nationale ou internationale dans deux ou trois ans. Il y a encore quelques années, on arrivait à faire des plans de développement sur quatre ans. Là, si on arrive à se donner des objectifs sur un an c’est déjà pas mal. Et avoir des difficultés à anticiper l’avenir c’est quand même un vrai problème pour la sécurité de tout le monde, car on n’a plus de garantie. Du coup, en SCOP, ce qui est difficile à gérer c’est de faire en sorte d’arriver à prendre des décisions qui ne sont pas toujours faciles, mais on les prend collectivement.

Le MEDEF estime qu’il y a un problème au niveau du coût du travail. Qu’en pensez-vous ?

C’est des conneries. J’y crois pas une seconde, chez nous les gens sont ultra productif on le voit dans tous les secteurs. Dans l’économie capitaliste, c’est le capital qui coûte pas le travail. Nous, on a de la chance dans l’entreprise coopérative, car tout que ce qui est gagné est principalement réinvesti. Si les entreprises capitalistes faisaient tout ça, on en serait pas là. C’est le capital qui pompe tout. Les dividendes n’ont pas cessé d’augmenter dans les entreprises capitalistes. Donc c’est exactement le contraire, je pense que c’est un mensonge pour faire gagner encore plus d’argent pour les actionnaires.

On ne considère pas que les rémunérations sont une surcharge, d’abord parce qu’une des raisons du travail c’est de gagner sa vie. C’est terrible de croire que les salaires sont chers. D’abord quand on les regarde en France ils ne sont pas si élevés et d’autre part, on nous parle pas de charges sociales on parle de cotisations sociales et patronales. La sécurité sociale c’est utile, ils s’en foutent eux les grands patrons du MEDEF, ils peuvent se payer comme aux États-Unis la santé qu’ils veulent dans le privé. Donc les impôts sont utiles et c’est arrivant à leurs retraites que les gens se rendent comptent qu’ils auraient dû cotiser ou qu’ils ont bien fait de cotiser.

Pourquoi les SCOP ont mieux résisté à la crise ?

Simplement parce que les entreprises appartiennent à leurs salariés, leurs sociétaires, donc les gens se sentent responsables de l’entreprise. Ils sont prêts à faire des efforts, car c’est leur entreprise, leur emploi, c’est eux qui le développent. Il y a une mobilisation des salariés dans les SCOP qui ne sont pas comparables aux autres entreprises. Marx disait rien « n’est plus fort que maîtriser la finalité de son travail ». C’est-à-dire quand on comprend à quoi ça sert, quand on produit quoi que ce soit, on est beaucoup plus efficace. Et puis il y a l’aspect technico-financier, c’est qu’on met pratiquement tous nos bénéfices quand il y en a en réserve. Ce qui fait que quand il y a un coup dur on a de quoi tenir au moins deux, voir trois ans sans problème.

La stratégie du redressement productif d’Arnaud Montebourg a-t-elle échoué ? Pourquoi ?

Pour plein de raisons. Premièrement, il a fait beaucoup d’effets d’annonces, mais il n’a pratiquement rien mis en œuvre concrètement. Et puis quand on a eu besoin de lui, il ne s’est pas mouillé à fond. Je pense aux Fralibs, aux Pilpa. Deuxièmement, il n’a pas intégré la nécessité d’une transition énergétique. Il défend encore une industrie productiviste et nucléaire. Il n’a pas compris qu’il y avait un vrai enjeu de transformation de l’économie nationale. Pour le peu qu’il a essayé de faire, il n’a pas franchement été aidé par son Président. Il était aussi minoritaire dans le gouvernement. Il n’avait pas tellement de projets, il n’a pas réussi à formuler grand-chose, il ne voulait pas comprendre l’enjeu de la transition énergétique et en plus il était minoritaire de toute façon il ne pouvait que se planter.

Si les 50 milliards d’euros du pacte de responsabilité proposé par Manuel Valls étaient versé aux entreprises de l’ESS, créeraient-ils plus d’un million d’emplois ?

S’ils étaient dédiés à la socialisation des entreprises, c’est-à-dire à des mesures favorisant la démocratie et la participation des salariés dans les entreprises bien sûr que ça créerait plus d’emplois, car cela créerait des mécanismes de solidarité. On ne supporterait pas de virer quelqu’un dans un plan social, on serait à se dire quand on a des difficultés comment on les règle tous ensemble. On n’est pas là avec un patron qui décide à notre place. Si on faisait entrer l’économie nationale voire plus dans une démarche coopérative, les milliards du pacte généreraient de l’emploi et de l’activité économique automatiquement.

Il faudrait investir dans la démocratie et dans les droits des travailleurs. Cependant le gouvernement est en train de supprimer les droits des travailleurs, il fait exactement l’inverse. Si on veut bosser plus c’est au prix de prendre des responsabilités et des décisions dans l’entreprise et c’est pas au prix d’un mec qui va s’en mettre pleins les poches, car cela ne marche pas. Le plan qui est caricaturé aujourd’hui par Macron est non seulement de droit ultralibéral, mais en plus il est voué à l’échec. D’ailleurs ils n’y arriveront pas, car les gros patrons en voudront encore plus, ils bloquent le système. De plus, ils ne pourront faire face à la concurrence sans des mesures de protection contre les attaques des marchés internationaux. Ce gouvernement ne fait d’ailleurs rien sur ce qui est le plus porteur aujourd’hui qui est d’organiser la transition écologique.

Vous êtes secrétaire national du Parti de gauche, votre parti défend une sixième république. Que voulez-vous y voir inscrire pour favoriser l’ESS ?

Du point de vue du développement de l’ESS et même au-delà, pour moi ce qui est déterminant c’est de développer la démocratie sociale dans les entreprises, que les travailleurs soient les premiers responsables des entreprises. Je souhaite qu’on soit de plus en plus dans un système d’alliance dans le monde du travail qui ressemble à ce qu’on essaye dans les SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif). Les décisions y sont prises entre le collège des salariés qui est en général le plus gros, le collège des usagers bénéficiaires et d’autres apports comme les collectivités territoriales voire d’entreprises ou des structures associatives. Si on veut que l’économie marche, il faut que toutes les parties aient leur mot à dire, les producteurs au premier chef évidemment.

Il faut une loi pour développer la démocratie dans toutes les sphères de la société et en particularité dans le monde du travail. Il faudrait premièrement que les pouvoirs publics aident financièrement soit en matière de formation les reprises d’entreprises en SCOP ainsi qu’un droit de préemption pour que les salariés soient prioritaires. Deuxièmement il faudrait renationaliser ainsi que socialiser les entreprises d’intérêt public à un échelon territorial à définir selon la taille de l’entreprise (national, régional, départementale, communale) par exemple la gestion de l’eau ou même EDF.

 

Propos recueillis par Giuseppe Aviges

 

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