« Indispensables au bon fonctionnement du pays ». Ils sont livreurs, plongeurs, éboueurs, ouvriers du bâtiment, préparateurs de commandes, intérimaires dans divers secteurs clés de la vie de tous les jours, et pourtant la cause des travailleurs sans-papiers reste souvent invisible. Depuis le lundi 25 octobre, près de 300 travailleurs sans-papiers d’Île-de-France ont débrayé. Ils ont ainsi débuté un mouvement de grève coordonnée par l’union locale de la CGT 93 avec une occupation de leur entreprise, soit un total de 10 sites répartis sur la région francilienne.

Piquet de grève des travailleurs sans papiers de l’entreprise de nettoyage Sépur sur le parvis de la mairie de Bobigny. 

Ce mouvement de grève d’ampleur en Ile-de-France, a pour but de dénoncer la précarisation des travailleurs sans papiers, leurs conditions de travail et de réclamer leur régularisation. Tous ne demandent qu’une chose que leurs employeurs remplissent des formulaires reconnaissant leur statut pour faciliter les démarches de régularisation.

Pour beaucoup, l’arrivée en France rime avec la nécessité de trouver du travail. Faute d’avoir des papiers « en règle », ils doivent se procurer des faux ou emprunter l’identité d’un proche en situation régulière. Ceux qui les embauchent peuvent toutefois renseigner une « demande d’autorisation de travail pour conclure un contrat de travail avec un salarié étranger résidant en France », surnommée « Cerfa » (Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs, NDLR) par les grévistes. Ce formulaire, s’il dépend du bon vouloir des employeurs, facilite les démarches des travailleurs sans papiers en préfecture.

Un système d’exploitation organisé

« Quand ils nous embauchent, ils voient bien qu’on ne ressemble pas à la photo sur nos cartes » assure Sékou* 26 ans, qui travaille depuis 3 ans pour l’entreprise de nettoyage et de ramassage des ordures Sepur. Sur le parvis de la mairie de Bobigny avec ses autres collègues et camarades de fortune, ils ont planté un piquet de grève. « Si on est malade, on ne peut rien dire, on est obligé de venir travailler, sinon ils ne vont plus nous appeler. Et l’agence d’intérim va rompre le contrat », ajoute-t-il.

Les travailleurs sans titres de séjour sont nombreux dans le secteur de la propreté. Chez Sépur à Bondy, Bobigny et Noisy-le-Sec, la CGT constate un système organisé et abusif de travailleur intérimaires. Afin d’éviter une requalification de leur contrat en CDI, certains doivent revenir travailler avec une nouvelle identité.

« Après 18 mois de travail, les gars sont mis en carence, pour éviter de les faire passer en CDI. Ou bien ce qui se passe encore, c’est que l’employeur leur dit de changer de noms. C’est systémique dans des secteurs entiers. Par exemple, en livraison et logistique, qu’importe l’entreprise il s’agit d’intérimaires. C’est la précarité à outrance », dénonce Jean-Albert Guidou, secrétaire CGT de l’union locale de Bobigny. « La destruction du Code du Travail favorise et multiplie ce genre de situation », ajoute-t-il.

Malik* 29 ans, est livreur Stuart, pour les clients du magasin Monoprix. Il travaille depuis 2 ans et 3 mois, de 10 heures à 21 heures  avec une heure de pause dans la journée, du lundi au dimanche. « Au début, j’ai travaillé au black pour Stuart, j’étais en période d’essai. Après six mois, ils m’ont créé un statut d’auto-entrepreneur. Les conditions sont difficiles, en moyenne on transporte entre 60 et 100kg dans les charriots accrochés aux vélos. Quand il pleut, ou avec la circulation dans Paris, c’est très dangereux. Je connais pleins de gens qui ont eu des accidents. Je n’ai rien eu encore, mais c’est possible et si ça m’arrive, je sais pas ce que je vais faire, je vais être obligé de continuer ». 

Mobilisation des livreurs Stuart devant le Monoprix métro Jourdain (Paris 19°). Photo/Olorin Maquindus

Le système d’organisation du travail dans le secteur de la livraison notamment est organisé de sorte à favoriser un ruissellement de sous-traitance. Ce système permet de diluer les responsabilités, ainsi les agences d’intérim renvoient la balle aux employeurs, qui eux-mêmes la renvoient vers d’autres prestataires de service. Dominique Berrou de l’Union locale de la CGT 93 trouve « inadmissible de précariser des gens sans papiers en ayant connaissance de leur statut », « on a l’impression de revenir à l’époque des embauches sauvage à la camionnette » ajoute-t-il.

Se mobiliser pour ses droits

Il y a encore peu Ladji, venait de perdre son emploi. Sans papiers, il était employé depuis 3 ans dans un supermarché, en décembre 2020, il avait prévenu son employeur de son désir de régularisation. Ce dernier nonobstant les nombreuses relances de son employé finit par lui demander de signer une lettre de démission quand il apprend que son employé était appuyé dans ses démarches par l’Union locale CGT 93.

Les relances écrites ont fini par céder la place à une manifestation prévue devant l’enseigne le 6 octobre au lendemain de la manifestation nationale lancée par l’intersyndicale. Face à la pression de publicité de la pratique inique, l’employeur du supermarché a décidé de faire marche arrière, de négocier le retour de son salarié et lui fournir les documents nécessaires à la constitution de son dossier de régulation auprès de la Préfecture. Si le dénouement ici est heureux. Il rappelle toutefois que sans l’appui d’organisations associatives et/ou syndicale les droits des travailleurs et travailleuses sans papiers sont bafoués dans une sidérante impunité.

Olorin Maquindus

*Les prénoms des travailleurs interviewés sont anonymisés.

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