Ayant traité et enquêté plusieurs fois sur la vie des taxis parisien, les taxis clandestins, et plus récemment l’arrivée de Uber. Mohamed a testé Heetch, en tant que passager, mais aussi en tant que conducteur, une nouvelle application qui facilitera vos retours de soirées. Récit.

Début septembre 2014, il fait encore beau et chaud à Paris. L’été n’est pas fini et ses soirées non plus. Certains étudiants n’ont pas encore repris la fac ou autres. C’est lors d’une soirée que j’ai connu Heetch. Une soirée qui avait tout pour être bien, bonne musique, cadre sympa sur les quais de Seine, sauf qu’à la fin de la soirée, comme souvent vient la question «comment on rentre ce soir ?»

C’est là qu’un pote d’un pote me parle de Heetch, une nouvelle application censée être «super cool pour rentrer chez soi pour pas cher». « Quand on vient de banlieue, c’est toujours une galère pour rentrer» me dit l’ami en question. Combien de fois j’ai galéré pour trouver un taxi et rentrer chez moi sans qu’il passe la première et un coup d’accélération dès qu’il entend ‘c’est pour rentrer à Bondy s’il vous plaît !’ ».

J’ai testé Heetch en tant que passager

Donc, naturellement, je télécharge l’application par curiosité et prends contact avec les co-fondateur. Premier constat, à la création de mon compte, tout parait cool, on me tutoie, il y a un suivi par mail, l’utilisateur a la possibilité de payer en cash ou en liquide et c’est moins cher que les taxis. What else ? C’est tout ce que je retiens. Le premier Heetch se passe très bien, j’entre mon adresse de départ et mon adresse d’arrivée, le chauffeur le plus proche se trouve à 5 minutes, c’est royal ! Je valide à peine ma course, qu’un «driver» m’appelle pour me dire qu’il vient me chercher à l’adresse indiquée dans 4 minutes. C’est précis.

Je rentre donc à Bondy pour rien du tout, j’ai même l’impression que c’est une farce. Et bien non, il y a même des bonbons et des bouteilles d’eau à l’intérieur du véhicule. Encore plus étonnant, certains conducteurs ont même mis à disposition des passagers, des masques de politiques ! Au-delà du fait de rentrer chez moi pour pas cher, le concept me séduit et me rend encore plus curieux.

Sur le site Internet, je découvre qu’il est possible de devenir conducteur Heetch en s’inscrivant. Quoi de mieux que de devenir conducteur ? J’assiste donc à une réunion à Paris pour comprendre comment fonctionne l’application, parler du concept. Au bout d’une heure et demie, tout est clair. Le co-fondateur, Teddy Pellerin, m’envoie un mail avec la liste de tous les papiers nécessaires à avoir (permis de conduire, assurance du véhicule et carte grise). Il m’annonce que mon compte est créé et que je pourrai faire ma première soirée en tant que conducteur d’ici deux jours.

À la fin de cette réunion, tout est clair, et Teddy a bien répondu à toutes les questions que je me posais. Cette application, il l’a fondée à Paris avec Mathieu Jacob et Aylic. Heetch est une application qui se présente comme une plateforme mobile de covoiturage dédiée à l’univers de la nuit. En soirée et le week-end, il est en général assez difficile de trouver un moyen abordable pour rentrer chez soi. Surtout lorsqu’on habite en banlieue. Les transports en commun sont fermés (en générale vers minuit voir 1 heure du matin) et il n’est pas rare d’attendre plusieurs heures avant de trouver un taxi disponible. Heetch vient donc se positionner comme solution à ce problème. « On sortait beaucoup nous avant dans Paris, et on a compris qu’il y avait un réel problème pour rentrer chez soi. On s’est dit il y avait quelque chose à faire dans la nuit, dans les soirées ».

Ils lancent donc ce concept en septembre 2013, dans le but de créer un outil convivial, mais surtout utile pour les Parisiens. Le service est ouvert de 20 heures à 6 heures du lundi au dimanche. L’application vous met en relation avec des conducteurs particuliers (conduisant leurs propres véhicules), qui viennent vous chercher pour vous ramener chez vous en fin de soirée. Le paiement peut se faire directement depuis l’application (à la manière d’Uber, de Mon chauffeur privé) ou en cash.

L’application tire donc son épingle du jeu en se positionnant sur le marché des offres de transport de nuit, afin de rendre votre vie nocturne plus facile. Heetch vient de l’anglais « hitch-hiking », qui signifie faire de l’auto-stop. Le concept est simple et fait grincer les pneus des taxis.  C’est une sorte de transport social. La cible de Heetch, c’est naturellement les jeunes. Ces jeunes résidant en banlieue ou à Paris, qui ne peuvent pas se permettre de payer un taxi, ceux qui ont la flemme d’attendre le premier métro en sortant de soirée.

Tenté, je teste alors Heetch en tant que conducteur

Après avoir été passager, je voulais absolument l’essayer en tant que conducteur. Ce premier soir arrive. Comme convenu lors de la réunion avec Teddy, ma voiture est donc prête, bien lavée, toute propre avec des bouteilles d’eau, des bonbons et de la bonne musique. Tout pour plaire aux jeunes. Les passagers peuvent se connecter sur la plateforme dès 20 heures, dès qu’il valident leur trajet, la demande est envoyée au conducteur le plus proche du passager. Lorsque celui-ci valide, il reçoit la photo du driver, ainsi que la photo de sa voiture et le temps estimé de sa venue. Il faut savoir qu’avant même d’être mis en relation avec le driver, le passager a connaissance du prix qui restera fixe à la différence de Uber ou autre.

Quelques soit le temps que le driver mettra à venir récupérer le passager et quelques soit le temps passé durant la course, le prix ne changera pas, à part s’il y a plusieurs arrêts à faire le prix est recalculé, mais de très peu. Pour le conducteur/driver le coût de la course n’apparaît pas avant de la valider, pour éviter de choisir les courses en fonction du prix. Le passager a le choix de donner plus ou moins.

Tous les driver Heetch sont des particuliers qui conduisent avec leurs propres véhicules pour amortir leurs frais (véhicules, assurances). Un Français dépense en moyenne 6000 euros par an pour sa voiture, les drivers ne pourront donc pas toucher plus de 6000 euros par an pour couvrir leurs frais de véhicules.

Le premier soir en tant que conducteur fut très convivial, je me suis donc connecté à l’application en mode driver. 20h01 : le téléphone sonne, un bip alerte, c’est ma première demande. Je suis à gare du Nord, la photo de la passagère apparaît avec son trajet, elle est à 5 minutes, m’indique mon GPS Waze. Je valide la course, je l’appelle pour lui dire « salut Delphine, je suis Mohamed le conducteur Heetch, j’arrive à ton adresse dans 5 minutes avec pleins de bonbons et une musique de malade à bord » elle éclate de rire en me répondant « vas y momo c’est cool on t’attend ». Je lui explique qu’elle est ma première passagère, que c’est mon premier soir.

L’échange est direct, on se tutoie, on parle de tout et de rien, de l’été qui s’achève, les cours qui commencent bientôt, et bien sûr de Heetch. « Je l’utilise  depuis 6 mois, c’est un ami qui m’en a parlé, et j’en parle aujourd’hui à tout le monde. Heetch ça a changé ma vie, je me prends même plus la tête à prendre des taxis ». Cette phrase-là, c’est la première fois que je l’entends étant donné que c’est ma première course. Et finalement, je l’ai quasiment entendu dans la bouche de tous les passagers que j’ai pris par la suite. Le premier soir se passe très bien, j’ai pu discuté avec tous mes clients, tous très agréables. Certains prenaient même Heetch pour la première fois. Le bouche-à-oreille fonctionne énormément.

Ma première soirée fut donc un succès. J’ai bien compris le concept et cerise sur le gâteau, je me suis fait des sous. C’est maintenant le bon plan pour arrondir les fins de mois dès que j’ai du temps libre.

J’appelle donc Teddy le lendemain pour lui faire un retour sur ma première soirée, qui fut très positive. Cela m’a même donné envie de réitérer l’expérience. Et je l’ai refait plusieurs fois depuis. Au cours de ces soirées nocturnes, j’ai pu découvrir Paris autrement, le fait de conduire la nuit,  pas de bouchons et oublier  le stress de la conduite en journée.  J’ai pu faire des rencontres. C’est là que le terme transport social prend tout son sens. Aucun des passagers n’a payé moins que le prix fixé. Ils doivent, une fois la course terminée, noter les conducteurs à la manière d’Uber ou Mon chauffeur privé, mais les conducteurs doivent aussi noter les passagers avec des étoiles.

« Heetch c’est ma nouvelle drogue ! »

Le concept semble séduire totalement les jeunes et plus vieux. « J’avais l’application depuis un mois, mais je ne l’ai jamais utilisé, ce soir je suis vraiment en galère, j’ai dit allez testons ! et franchement je suis pas décu ». Adèle habite Boulogne « pour moi heetch, ça a changé ma vie et mes soirées ». Certains jeunes en ont même parlé à leurs parents. Des parents qui ont souhaité tester l’application eux-mêmes pour se rassurer. « Ma fille m’en parle depuis des mois, j’étais un peu anxieuse à l’idée de la savoir dans la voiture d’inconnus, mais maintenant que j’ai testé Heetch, c’est génial ».

En effet, tout est sécurisé, le passager dispose de toutes les informations sur le driver, en cas de problème il peut être mis en relation directement avec les fondateurs de l’application (disponible en cas de problème). Les profils sont complètement différents, la plupart des passagers sont des jeunes, mais le bouche-à-oreille commence à s’étendre. J’ai pu prendre un couple de 40 ans à Porte Maillot, ils revenaient de l’aéroport en bus et souhaitaient rentrer chez eux au Plessis-Robinson. Une galère pour trouver un taxi. Aussi, un patron de restaurant âgé de 50 ans « j’ai connu Heetch par mes serveurs, je les voyais chaque soir commander sur leur iphone un Heetch, j’ai voulu tester et depuis je ne prends que ça. Je préfère donner mes sous à des jeunes pour les aider plutôt qu’à des taxis ingrats et pas sociables du tout. Ici, chez Heetch avec vous, on parle de tout et de rien, c’est convivial, et ça fait du bien à Paris une application comme celle-ci ».

Jeunes étudiants se rendant à des soirées BDE de leurs écoles, jeunes filles ne voulant pas marcher dans Paris seules le soir, des serveurs qui finissent le service très tard,  Heetch est fait pour eux.

Certaines des filles m’ont même confié se sentir «plus en sécurité dans un Heetch que dans un taxi, au moins ici on connait le nom du driver, on a son numéro de téléphone, notre trajet est tracé dans l’application, on parle avec le conducteur, ça passe plus vite, moi Heetch c’est ma nouvelle drogue».

Convivial, le concept à tout pour plaire et semble séduire chaque semaine de plus en plus de passagers. Heetch vient tout juste de souffler sa première bougie, et un an après, c’est plusieurs milliers de trajets par semaine. L’application vient même de s’étendre à Lille et Lyon « il n’y a pas qu’a Paris qu’on aime sortir ».

Mohamed Mezerai

Plus d’infos : http://www.heetch.com/

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