T-shirts à messages. La vitrine de la petite boutique de Kassim en est pleine. Assis sur un des fauteuils orange du magasin, il explique : « Cosma, le graphiste, fait un dessin. Ensuite, on cherche une phrase plus ou moins drôle pour faire passer une idée. » L’aventure commence comme toutes les histoires : par une rencontre. Il y a une dizaine d’années, ce natif du quartier marseillais La Castellane, fait la connaissance d’un graphiste parisien venu s’installer à Marseille.
Le jeune homme de 36 ans – il paraît moins – prend un cintre sur lequel se trouve un t-shirt bleu. Le dessin : des enfants qui tiennent des armes entre leurs mains. « Le slogan Pain ball est un jeu de mots avec le Paint ball. Sans le T, ça veut dire la balle de la souffrance. C’est une pensée pour les enfants soldats dans le monde. » Les débuts de ce lieu ouvert depuis plus d’un an ont été un peu laborieux. Avec un sourire, Kassim se souvient : « On vendait des t-shirts entre collègues pour se faire des sous. » Puis, les deux garçons se lancent. Armés d’un sac de sport rempli de leurs créations, ils démarchent les dépôts-ventes. La marque Brick City naît. « C’est le nom d’une ville du New Jersey qui a vécu des émeutes raciales sanglantes dans les années 60 », précise-t-il.
Les idées, les deux associés les trouvent partout : dans leurs quartiers, dans l’actualité, dans l’histoire. « On parle de choses qui nous touchent. Sur ce t-shirt, on peut lire Gorée. C’était le port de non-retour au Sénégal à l’époque de l’esclavage », raconte le jeune homme d’origine comorienne. Curieux, les clients s’intéressent à la signification des messages. Plus ils sont percutants, plus ça fonctionne. Le projet du moment : un vêtement appelé «Nomade’s land», inspiré des Gitans. « J’aime bien cette culture. A la Castellane, il y avait des gens de toutes les origines. » Kassim pense faire, sur ce nouveau modèle, un clin d’œil au film d’Emir Kusturica, « Chat noir, chat blanc ».
Ce jeune papa a quitté son travail chez un grossiste depuis deux ans. Une prise de risque car, pour l’instant, son activité ne lui rapporte pas grand-chose. « On a fait des emprunts à la famille », sourit-il. Après avoir avalé un café et fumé une cigarette, il raconte les particularités de sa marque de streetswear. « Au début, on pensait que les populations des quartiers porteraient nos t-shirts, mais ce n’est pas le cas. Ils préfèrent les marques connues. Ils ne sont pas assez revendicatifs. » La clientèle est donc plutôt bobo. Pour porter ces messages plus loin, les amis musiciens de Kassim arborent sa marque. Ses t-shirts ont même déjà fait leur apparition sur Canal + et dans Plus belle la vie.
Pourtant, plus jeune, c’est dans son quartier que Kassim vendait ses modèles. Un quartier qu’il habite toujours. « Ça m’inspire beaucoup. Cette marque vient d’une culture de la rue. Elle évoque des gens dont on ne parle pas. » Sur un modèle sont imprimés des jeunes assis dans l’entrée d’un immeuble avec la phrase : « Hall sweet home ». « Ça me rappelle ma jeunesse à La Castellane, quand on ne savait pas quoi faire en bas des tours », se souvient-il. Karim, un ami de longue date, de passage dans la boutique, ajoute : « C’est un digne représentant du quartier ! »
Linda Kerfa (EJCM–Marseille Bondy Blog)