C’était un vrai beau dimanche parisien. Les promeneurs étaient de sortie, les coureurs avaient couru, les lève-tard passaient au « brunch », lunettes de soleil au nez, et les enfants patinaient, trottinette sous le pied. Qu’est ce qu’il manquait à ce tableau presque parfait ? Une Place de la République bondée. Une République en vie. Un sursaut d’humanité. Et bien alors, le compte est bon. Troisième jour des « indignés » de chez nous, troisième jour du hashtag Nuit Debout. Place de la République, des centaines et puis des milliers de jeunes gens, cernés et fatigués mais plus que jamais motivés, se réunissent pour construire un Non. Un pied posé Place de la République, et nous voilà projetés, dans un temps nouveau : nous sommes le 32 mars, et ici on parle le démocratie, un langage original qu’on dirait oublié ; un langage que l’on maîtrise mal.
FullSizeRender(1)Les règles sont pourtant simples : Pour dire oui, pour dire qu’on est d’accord, on fait des moulins de la main. Pour dire non, quand on est pas d’accord, on fait une croix avec ses bras. C’est un coup à prendre mais on comprend vite. Quand on veut parler, on lève la main. Ça permet de ne pas se perdre dans un brouhaha déchaîné, et on peut s’écouter. Plus de cinq mois que la France doit se tapir chez elle, parce que c’est l’état d’urgence, et qu’il faut avoir peur. Plus de cinq mois donc, que la parole est bouclée, écrasée. Que le langage est de terreur. Une période dramatique pendant laquelle la moindre porte qui claque nous fait sursauter, faisant de tout Autre un potentiel coupable. La jeunesse d’aujourd’hui, et pas qu’elle, répond qu’il en est trop, et que le risque de se retrouver au chômage est infiniment plus certain, qu’une nouvelle attaque terroriste.
Alors on s’organise. On se mobilise. Contre la loi El Khomri, c’est sûr, mais aussi plus largement, pour la démocratie. « Il faut libérer la parole, libérer la République » explique Victor, étudiant en science politique à Paris VIII. Entendre grand « R », et petit « r ». La place, et le régime. « Nous ne voulons plus que d’autres gens parlent en notre nom ». Moulins de la main. Pour la démocratie aussi, ces derniers temps ont été meurtriers.
Vous êtes au courant de ce qu’il se passe sur la place ? « Non… J’imagine qu’il doit se passer quelque chose mais j’avoue que ne sais pas quoi. Je passais par là pour rejoindre une amie et aller boire un verre… » Comme prise au piège, honteuse de ne pas prendre part au mouvement, cette jeune femme s’en va, précipitant le pas. Les indignés le savent bien, ils sont loin d’être au complet : « Là on est peut-être 300. 3000. Il va falloir qu’on soit 30.000, 300.000 ! ». Et il y a en effet tout ceux-là, toutes celles là pour qui un dimanche est un dimanche en terrasse, ou n’est pas. Comment faire pour toucher tout le monde ? Il suffirait de déambuler, d’aller de terrasse en terrasse et de se présenter : « Bonjour, c’est la Nuit Debout ! Nous sommes…blablabla » Les mains disent oui à nouveau. L’ambiance est grisante. On peine à y croire et en même temps, on est bien là.
FullSizeRender(2)En plus des endimanchés des terrasses, il y en a encore d’autres qui ne sont pas de la partie. Ceux que le mouvement gêne. « Occuper, on le sait, ça dérange » reconnaît une militante. Car les corps se rencontrent et se parlent, contrairement à une marche où l’on cri un slogan et où l’objectif est d’arriver à un point B. Ici pas de cri, pas de mouvement brusque. On s’assoit et on réfléchi, ensemble, sous le regard des plus curieux qui flanchent petit à petit, ni tout à fait assit, ni tout à fait debout.
Comme il est difficile de comprendre que tout le monde a la parole. Qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Dans la foule, on cherche un chef, un meneur. C’est toi qui gères le mouvement ? « Euh… non… Enfin pas plus que les autres ». Surprise. C’est comme s’il fallait réapprendre la langue pourtant maternelle de la France, la démocratie. On a tous un peu perdu l’habitude.
« À la télé, on passe pour des bobos ! Il faut être prit au sérieux » regrette Camille, étudiante. Depuis quatre jours, les micros et les caméras sont partout. Les attentes sont grandes, on tweet dans tout les sens. Mais certains médias parle de « rêve général » avec un ton léger, alors que le mouvement est plus grave qu’un besoin d’évasion : « Il faut qu’on rappelle pourquoi on est là : Parce qu’on a peur de l’avenir, et parce qu’on a plus d’espoir » explique une plus si jeune que ça. Tu parles d’un rêve…
Bien que beaucoup le craignent, parlant d’un facteur de manipulation plus que d’information, le mouvement Nuit Debout a besoin que le quatrième pouvoir soit avec lui, pour être crédible et parler au plus grand nombre, aux timides qui attendent qu’on leur dise « vous pouvez y aller ». À l’autre bout de la place, un débat commence, encadré par des élèves en sociologie et en économie. Ancelin, étudiant à lunettes et casquette à l’envers explique qu’il « faut déconstruire le modèle qu’on nous impose ». Le micro sa ballade. « Et les femmes, prenez la parole aussi ! ».
Plus loin, une nouvelle foule se forme et on devine les bottines cuir noir de Jean-Luc Mélanchon. Il est venu mais sert des mains à l’écart. Une figure qui rassure les plus perplexes. Dommage, il aurait pu ramener la foule au centre…mais il parle théâtre avec des jeunes filles amusées qui demandent un selfie.
Ce combat ne touche pas tout le monde de la même manière. Il ne touche pas tout le monde tout court d’ailleurs. « On ne peut pas s’adresser à la France car la France n’est pas une unité, explique un jeune homme. Il n’y a pas d’unité entre une Bettencourt et un ouvrier Peugeot ». Il poursuit et sa phrase résonne encore : « Y’a un combat de classe dans ce pays, pas de nationalité ». Mathieu passe par là avec sa fille. Il dit qu’il ne s’arrêtera pas parce que la « politique j’en ai rien à foutre » mais il trouve que c’est bien quand même. Il se rappelle de la phrase de Lincoln, qu’il connaît par cœur : « À nous de décider que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre ».
Alice Babin

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