Il y a six mois de cela, en passant dans Montreuil, sûrement auriez-vous aperçu au détour d’une rue, ruelle ou avenue, un monsieur de taille moyenne, la peau couleur caramel, les cheveux et la petite barbe grisonnante, un visage que la vie a marqué par des rides profondes mais dont la marche agile laisse entrevoir encore une certaine fougue. Sûrement l’auriez-vous vu en train de tirer sa poubelle sur deux roues, un balais à la main et portant sur lui une combinaison fluorescente. Imran, qui aura 65 ans en octobre, travaillait encore à la voirie de la mairie de Montreuil jusqu’à ce mois de décembre 2009.

Le parcours d’Imran ressemble à celui de milliers d’autres, arrivés en France dans les années 60 en provenance d’Afrique du Nord : il a travaillé sur des chantiers, a fait venir sa femme dans cet eldorado qu’était censée être la France, a jonglé entre plusieurs emplois. La vie n’étant pas un long fleuve paisible, Imran a cherché à un moment donné un emploi stable. C’est comme gardien du cimetière de Montreuil, situé dans le quartier HLM Jean Moulin, où de nombreuses familles immigrées ont déposé leur valise à l’instar de mes parents, qu’Imran pense trouver le salut dans ce bas monde. Tout se passe bien, ou presque

« Un jour, un responsable me contacte et me fait part de soupçons sur le bon exercice de ma fonction, raconte-t-il. On lui aurait rapporté que je participais à la prière lorsqu’on enterrait un défunt musulman. Tout ça est faux ! Ils ont dû me voir marcher aux côtés de ceux qui portaient le cercueil et en ont déduit ce qu’ils voulaient voir. Je ne faisais que mon travail pour m’assurer du bon déroulement de la cérémonie, j’étais quand même responsable ! Je n’en reviens pas de ce genre d’accusation. »

Imran rend donc les clés du cimetière et décide de se lancer dans un petit commerce d’alimentation générale. C’est là que de plus gros problèmes encore vont commencer. « Ce commerce a été un échec, je me suis retrouvé avec une montagne de produits invendus, je ne suis pas rentré dans mes frais, je me suis donc endetté pour limiter la casse », explique-t-il dans son appartement autour d’un verre de Selecto posé sur une table ronde recouverte d’une nappe en plastique.

Dès lors Imran n’a de cesse de trouver un emploi qui lui permettra de rembourser ses créanciers. Cette recherche est d’autant plus urgente que son âge avancé ne lui laisse guère de temps avant l’heure de la retraite ou d’une visite inopinée de la faucheuse – qui, comme la vie, effacerait les dettes. Il fait des pieds et des mains à la mairie, allant jusqu’à solliciter le maire de l’époque, Jean-Pierre Brard. Ses efforts finissent par payer, et il décroche ce fameux poste à la voirie, service « propreté ».

« C’était une bonne chose, enfin j’avais un emploi, mais mon statut était précaire avec un simple CDD de six mois. Ils pouvaient me remercier une fois mon contrat arrivé à son terme. » Ce CDD sera reconduit une fois, mais pas deux… Un jour de décembre dernier, alors qu’il ramassait les détritus et que la veille il avait été volontaire pour saler les rues le soir jusqu’aux alentours d’une heure du matin, sa responsable vient le voir durant son service pour lui annoncer que son CDD ne sera pas reconduit. « Je me suis senti humilié. J’étais en train de gratter le sol, et on vient me voir pour me dire que c’est fini, comme ça. Ils auraient pu me convoquer ou attendre que je termine mon service. »

A un an de la retraite, les chefs du service « propreté » ont agi promptement… « Je m’y attendais un peu, reprend Imran. On n’arrêtait pas de me faire des reproches. C’est vrai que j’arrivais des fois avec quinze minutes de retard, mais au final je sortais du dépôt en même temps que mes collègues. Il y avait également du l’harcèlement, un de mes responsables m’appelait sur mon portable durant mon service pour me dire qu’il ne me voyait pas sur mon secteur alors que j’y étais au moment même de son appel. Plein de petites choses comme ça. »

J’ai contacté l’adjoint délégué au personnel afin d’avoir sa version des faits, mais ce dernier n’a pas souhaité répondre, mais il m’a tout de même accusé d’être « manipulateur, agitateur et extrémiste ». Bref… A la CGT, on affirme que l’on ne peut rien faire. Le syndicat se limite à un « soutien » timide, comme pour sauver les apparences.

« L’adjoint a justifié la non reconduction de mon contrat par le fait qu’il voulait laisser la place à un jeune. Mais je pense plutôt que je paye mon soutien à Jean-Pierre Brard lors des élections municipales de 2008. Il faut épurer au maximum tous les services de la mairie et j’étais une cible », imagine Imran, qui cherche des raisons à sa mise sur la touche. L’homme est toujours endetté et voit s’approcher avec anxiété le mois d’octobre au cours il aura 65 ans : « Ce n’est pas avec ma misérable retraite que je vais sortir la tête de l’eau. »

Aux dernières nouvelles, notre bientôt retraité tente d’obtenir une place de commerçant au marché de Montreuil. Sans grand espoir…

Aladine Zaiane

Aladine Zaiane

Articles liés

  • Dans les quartiers, le nouveau précariat de la fibre optique

    #BestofBB Un nouveau métier a le vent en poupe dans les quartiers populaires : raccordeur de fibre optique. Des centaines d’offres d’emploi paraissent chaque jour, avec la promesse d’une paie alléchante. Non sans désillusions. Reportage à Montpellier réalisé en partenariat avec Mediapart.

    Par Sarah Nedjar
    Le 18/08/2022
  • Privatisation : les agents de la RATP défient la loi du marché

    Après une grève historique le 18 février 2022, les salariés de la RATP, s’estimant négligés par la direction, se sont à nouveau réunis pour poursuivre leur mobilisation. En cause, toujours, des revendications salariales, mais surtout, une opposition ferme au projet de privatisation du réseau de bus à l’horizon 2025. Reportage.

    Par Rémi Barbet
    Le 26/03/2022
  • Dix ans après Uber : les chauffeurs du 93 s’unissent pour l’indépendance

    Une coopérative nationale de chauffeurs VTC, basée en Seine-Saint-Denis, va naître en 2022, plus de dix ans après l'émergence du géant américain. En s’affranchissant du mastodonte Uber, les plus de 500 chauffeurs fondateurs de cette coopérative souhaitent proposer un modèle plus vertueux sur le plan économique, social, et écologique. Après nombre de désillusions. Témoignages.

    Par Rémi Barbet
    Le 14/02/2022