« Je n’aime pas la France… je l’adore. C’est grâce à ce pays, que j’ai pu réaliser la plupart de mes rêves. Je sais que cela peut paraitre con, pour certains qui passent leur temps à se plaindre ou à déprimer. Mais, quand je repense à mon voyage qui m’a mené en France, il n’y a pas eu un jour où j’ai regretté mon choix ». Richard, grand gaillard polonais ne parle que rarement de son départ de Pologne. Par pudeur, timidité, par gêne peut-être ? Lorsqu’il prend la parole ce soir-là, lors de cette soirée dans un quartier de Bondy, les gens le regardent, le silence se fait, tandis que les quelques personnes se tournent vers lui presque subrepticement tandis qu’il nous emmène jusqu’au bout de sa France.

« Honnêtement, mon histoire n’est pas intéressante, je suis un simple personnage de l’Histoire qui a pu sortir du totalitarisme pour découvrir la liberté ». Il réfléchit un peu tout en baissant la tête, la relève doucement et reprend son inspiration. Ces souvenirs, c’est si loin, semble-t-il dire lorsqu’il relève son regard bleu qu’il pointe vers l’assemblée. « Je n’avais que 19 ans lorsque je suis parti de Rzeszo, ville moyenne du sud de la Pologne. Le régime totalitaire de Wojciech Jaruzelski était déjà tombé depuis 3 ans. Depuis tout jeune, je voulais quitter la Pologne. Mais avant mes  16 ans, ce n’était pas possible. Ce n’est pas que je ne me sentais pas libre. Vous savez, quand on ne connait pas le goût du bonbon, ce goût ne peut pas vous manquer. Mais certains de mes amis étaient partis en contrat de travail à l’étranger. A leur retour, ils avaient pu acheter une maison qui normalement leur aurait couté une vie de travail. Je ne rêvais pas d’être riche. Je voulais juste vivre bien, pouvoir élever ma famille et être fier de mon travail. Cela me semblait impossible à l’époque en Pologne et pour tout vous dire, cela peut sembler bizarre, mais je rêvais aussi de pouvoir m’acheter des fringues ».

Dans l’assemblée, le silence est maintenant total. « Un jour, je rentrais de ma journée de travail de maçon. On sortait des vacances et je me suis dis : « il faut que j’aille la bas ». J’en ai tout de suite parlé à mon amie de l’époque. Elle ne voulait pas partir. Dès le lendemain, je prenais un billet aller-simple pour la France. Pourquoi la France ? Pour moi, Elle rimait avec liberté, réussite, musique et parfum. Mon choix était fait, je suis parti, seul, 2 jours après ».

« Quand j’y repense, ma décision a vraiment été une sorte de pulsion brutale et irraisonnée. Je n’avais que 1500 francs (environ 200 euros) en  poche et je ne parlais pas un mot de français. Mais la chance sourit aux inconscients. Je rencontrai une vieille femme dans le bus qui rejoignait son fils à Paris. Nous sommes arrivés place de la Concorde. Son fils vint l’accueillir et me proposa son aide. Il nous loua une maison à Bondy, mais comme il n’avait pas les moyens de la payer, je me suis rapidement retrouvé à la porte. J’ai dû alors dormir dans un garage, parfois dans la rue. Rétrospectivement, je me dis que le début n’a pas été facile, mais je croyais en mon étoile. Je me suis aussi rendu compte que la diaspora polonaise était aussi un piège. J’ai parfois été aidé, parfois exploité par eux ».

« Qu’est-ce qui a permis de sortir de ces années de galère ? En Pologne, je n’avais connu que des blancs. Avec la banlieue j’ai appris à connaitre des gens de différentes origines, de différentes nationalités. Cette ouverture a aussi été ma planche de salut. C’est aux hasards de ces rencontres que j’ai réussi à trouver des petits boulots et mon premier vrai logement. Une femme d’origine algérienne avait besoin de refaire entièrement son appartement. Je lui ai proposé de faire ce travail en échange d’un toit. Après, cela a été très vite, le boulot puis mon premier vrai contrat ont suivi. Je ne peux pas vous dire comment cette dame d’origine algérienne a été un tournant dans ma vie. Elle habitait Noisy-le-Sec. C’est notamment avec elle que j’ai appris la langue, même si je prends des cours maintenant pour perfectionner mon français. En tout, j’ai dû manger de la vache enragée pendant trois ans, mais j’ai toujours cru que cela en valait la peine ».

« Grâce à cela, j’ai pu me permettre d’étoffer mes compétences dans les métiers de la rénovation immobilière. Cela m’a permis d’être mieux payé. Avec mes salaires, j’ai également investi en Pologne où, j’ai acheté des appartements et des maisons que je loue ou que je prévoie de vendre. J’ai également acheté mon appartement que je retape depuis 6 ans ». « Maintenant, pour mes filles et moi, la France c’est chez nous et je ne me vois plus rentrer vivre en Pologne même si ma mère et une partie de ma famille vivent encore là-bas. Pour moi, mon pays c’est la France. J’entends parfois les français qui geignent et se plaignent et je les comprends car je me rends bien compte que la vie n’est pas facile, mais pour moi, depuis que je suis en France, je vis mon rêve tous les jours ».

Axel Ardes

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