On le remarque rapidement avec son mètre 90. Adam* est un serbe de 35 ans. Il vit en France depuis 5 ans, à Saint-Denis (93), pas loin du stade de France et de l’appartement où a eu lieu l’assaut en novembre dernier. Il est agent de sécurité à plein temps pour une boite privée. Il cumule également en free-lance plusieurs autres boulots, toujours dans la sécurité pour grossir son salaire à la fin du mois. Ce métier, il le pratique depuis son arrivée en France. « J’étais déjà dans la sécurité en Serbie, c’est vrai que j’ai le physique pour, donc naturellement dès mon arrivée en France, je me suis tourné vers ce secteur que je connaissais et surtout que j’aime bien, j’ai toujours vécu de ça ».
Il est aujourd’hui sollicité dans plusieurs établissements différents, soit par le biais de la société où il travaille ou par des connaissances qui le recommande un peu partout. Boites de nuits, évènements sportifs, soirée privée. « C’est jamais mort » pour lui, surtout depuis les attentats de novembre dernier. « Au début, on a eu peur comme tout le monde. Mais maintenant on est dedans, c’est le boulot. Le jour des attentats du 13 novembre je travaillais dans une boite de nuit vers Bastille, c’était un grand bordel ce soir-là, nous-même agent on a eu très peur, le climat à Paris était horrible. Quelques jours plus tard, j’ai été réveillé par l’explosion et les tirs du raid à Saint Denis, à moins d’ un kilomètre de chez moi. On avait l’impression d’être dans une zone de guerre. Donc forcément au boulot, tu pars avec une appréhension, tu te dis « et si c’était moi aujourd’hui ? » ».
Les attentats sont dans toutes les têtes, notamment dans celle de Adam qui n’a rien pour se défendre si jamais un objet dangereux est découvert. Si les agents de sécurité sont formés au droit, aux techniques de palpation, ou encore à la gestion des conflits, en revanche, rien sur le terrorisme. Pourtant ces agents non armés peuvent se retrouver en première ligne, c’est ce qu’il s’est produit notamment lors de l’attaque au Bataclan.
« Après Charlie hebdo, on avait connu un pic important, mais depuis novembre dernier, il y a eu un doublement des effectifs. La situation est complètement différente. Ma boite a même recruté des agents de sécurité en province. Avec l’état d’urgence qui a été décrété on est dans une psychose, on se dit « faut pas se louper », on est beaucoup plus vigilant et concentré sur les gens, mais le flux est différent selon les lieux, et notre attitude peut changer aussi. On n’est surtout pas formés pour ça. Je suis agent de sécurité, je suis pas mentaliste pour détecter si quelqu’un est louche. Pourtant c’est ce que l’on nous demandait au lendemain des attentats, d’être plus qu’un agent de sécurité ». Ses missions sont un peu partout en Île-de-France. Notamment à Paris, boulevard Haussman et Beaumarchais, mais aussi au centre commercial des 4 Temps à La Défense où la sécurité a été doublement renforcée depuis qu’un groupe terroriste se préparait à commettre des attentats.
« Ma boîte utilise même du matériel qui ne fonctionne pas »
« De façon générale, les Français réagissent plutôt bien, et jouent le jeu, surtout dans les centres commerciaux. C’est devenu un réflexe, sans qu’on leur demande ils ouvrent leurs sacs. Il y a toujours quelques grincheux. Mais moi ce qui me désole c’est qu’on a pas de moyens et que le travail est bâclé. Je suis assez consciencieux donc j’essaye d’être à fond dans mon boulot, mais les moyens ne suivent pas. Je suis humain, c’est impossible de surveiller et contrôler tout le monde de la même manière. »
Ce filtrage aux entrées des grands magasins et des lieux publics est-il encore utile aujourd’hui, plus de deux mois après les attentats ? « Il rassure, sécurise, mais ne protège pas. Il ne sert à rien en gros. J’ai toujours fait mon boulot correctement, quand il s’agit de bagarres, malaises, vols, délinquance, on est formé pour ça, il n’y a pas de souci.  Mais des terroristes armés qui viennent avec des kalach, sérieusement qu’est-ce que je peux faire face à eux ? C’est pas mes gros bras et mes longues jambes qui vont faire le poids. Les fouilles, c’est le pire, certains agents ne regardent même pas ce qu’il y a réellement dans les sacs des gens, les contrôles sont aléatoires, parfois ça ne dure même pas une demie-seconde. Ma boite utilise même du matériel qui ne fonctionne même pas. On a des détecteurs de métaux qui ne fonctionnent même pas, je l’ai vu de mes propres yeux il n’y a même pas de bips, c’est limite des jouets en plastique et on m’a clairement dit « tu t’en fous, le but clairement c’est juste de rassurer la population, faire semblant ». Honnêtement moi même je ne suis pas rassuré vu les moyens, alors comment rassurer les clients ? Je me dis qu’un attentat ne peut pas être déjoué de cette façon. J’aurais pu être un agent du stade de France ou du Bataclan, et clairement j’aurais été impuissant. »
Toutes les fouilles du monde ne pourront pas empêcher un kamikaze de faire un carnage. Ce qui est en jeu dans un pays qui découvre l’état de guerre, c’est de conditionner la population pour qu’elle s’habitue aux contrôles fréquents et quotidiens. Grands magasins, salles de spectacles, lieux de culte… ouvrir son sac ou son manteau devient un réflexe assumé, peu contesté. Dans la foulée, les villes qui ont entendu l’angoisse de leurs administrés, y ajoutent caméras, portiques, brigades de surveillance. Reste à ne pas dépasser la dose de surveillance qui ferait passer la protection au stade de l’intrusion, surtout avec un état d’urgence qui s’annonce plus long que prévu.
Mohamed Mezerai
*Prénom modifié

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