Des Paris, il y en a plein. Il y a le Paris chic, le Paris qui craint, celui des bobos, des prolos et bien sûr celui des touristes. Certains vous diront le plus superficiel. Parmi ces touristes, il y en a qui ont des habitudes bien précises quand ils viennent rendre visite à notre vieille dame de fer. Les touristes du Moyen-Orient sont des touristes dans les touristes. L’avenue des Champs-Elysées est leur terrain de jeu. Là, bon nombre d’hôtels luxueux pour les accueillir et répondre à toutes leurs demandes.

C’est pour répondre à une demande de parents inquiets et par l’intermédiaire de connaissances que Claire s’est retrouvée à être le chaperon d’une jeune Koweïtienne de 20 ans, « ses parents ne voulaient pas qu’elle soit seule et il fallait que je la protège aussi, mais je n’ai pas trop l’allure d’un garde du corps ». Et pour ne pas qu’elle soit seule et la savoir protégée donc, ils demandent à Claire de lui tenir compagnie tous les jours de 17h à 00h pour la somme de 110e puis 10e par heure à partir de minuit et cela durant une petite semaine. Voilà une belle manière d’arrondir ses fins de mois, comment refuser ?

D’autant plus que Claire en profite pour emmener son amie, sa patronne ou sa cliente on ne sait pas trop dans tous les restaurants dont elle rêve, mais qu’elle n’a jamais pu se payer. Bien évidemment, les repas sont pris en charge, c’est un peu comme chez McDo, mais en mieux. Si elle était un peu gênée de la situation au début, Claire ne se prive pas et finalement prend du bon temps dans tous ses restaurants étoilés. Et puis elle est contente de lui faire découvrir d’autres endroits étant donné que la journée de la jeune Koweïtienne est bien tracée, « ces touristes-là, vont toujours aux mêmes endroits », ils déjeunent au Fouquet’s (à noter que dans cet espace-temps bien précis le déjeuner se situe aux alentours de 17H), puis vers 20h, ils vont chez Ladurée histoire d’être vus et de déguster quelques macarons (qui de mon petit point de vue, ne sont pas les meilleurs sur la place de Paris) et à 22h direction le restaurant Costes ou le Buddha Bar.

« Si je te dis que je veux son numéro, t’y vas »

Seulement très vite, la jeune fille la prend un peu pour ce qu’elle n’est pas. Elle lui demande de porter son sac à main, puis de lui enlever son manteau lorsqu’elles arrivent quelque part, « aide-moi, il est trop serré et je n’arrive pas à l’enlever seule » lui dit-elle la première fois. La jeune fille aime montrer qu’elle a quelqu’un à son service, n’est pas toujours très aimable et Claire est un peu déroutée par la situation d’autant plus qu’elle est « très sympa » quand elles ne sont que toutes les deux. Malgré tout, Claire ne lui dira rien.

Déroutée, elle le sera encore plus lorsque la jeune fille l’utilisera comme intermédiaire pour entrer en contact avec des membres du sexe opposé « si je te dis que je veux son numéro, t’y vas » lui dit-elle. Et quand Claire se montre réticente, elle se débrouille, elle donne son téléphone discrètement pour que celui qui lui a tapé dans l’œil y entre son numéro. « Il y en a aussi un qui l’a suivie durant toute la semaine » juste pour montrer qu’il était intéressé par elle ou elle a refusé que j’appelle la sécurité quand il y en a un qui a commencé à lui parler dans un magasin. « Elle parlait au moins à six mecs en même temps, mais tous de la même origine qu’elle » confie Claire d’un air étonné. Un soir elle m’a même demandé de dîner dans le même endroit qu’elle, mais pas à la même table, car elle voulait manger avec un de ses prétendants. Voilà donc Claire attablée seule pour dîner dans un grand restaurant parisien comme certaines âmes fortunées, mais en peine.

La jeune fille est pleine d’astuces et de ressources qu’elle déploie dans toutes les villes qu’elle visite (Londres, Los Angeles…) pour faire sauter les interdits qui la corsètent, mais sans pour autant mettre en péril sa réputation. Sans le savoir, elle crée une sorte de carte du tendre 2.0. À son service, Claire est, en quelque sorte, devenue la version humaine de l’algorithme de Tinder. La jeune fille sait déjà avec qui elle va se marier, et son objectif c’est que ce mariage soit célébré avant la fin de ses études, mais en attendant elle a la carte bleue de papa, Paris « ville de l’amour » pour s’amuser et ses 20 ans comme excuse.

Claire quant à elle, qui a joué les « butler » (sorte de majordome au service de certains clients privilégiés 24h/24) le temps d’une semaine est retournée à sa « vie normale ». Et si c’était à refaire ? Elle qui travaille dans le tourisme confie que la clientèle qui vient du Koweït ou du Qatar est la pire (les Russes ont dû céder la place) et que non, elle n’est pas prête à rejouer à ce petit jeu.

Latifa Oulkhouir

 

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