Réformer l’assurance chômage ? Manuel Valls lance la polémique, Emmanuel Macron la relance. Pendant ce temps, la précarité continue de s’accroître chez les jeunes en quête d’emploi. Rencontre avec Dorian, qui peine à joindre les deux bouts.

1 m 90, le teint caramel, ce longiligne au classique lunette rectangle démêle ses déboires entre vie active et vie sociale. « Petit frère a déserté les terrains de jeux… » 21 ans, le BTS M.U.C. (Management des unités commerciales) en poche, en parallèle de son travail dans le sportswear qu’il exerce pendant les dernières années de sa scolarité. 14 heures par semaine, pour une modique somme de 600 euros par mois. Dorian* était déjà prêt à conquérir les cieux. Il était comme celles et ceux qui pensent que les diplômes sont des sésames pour rentrer dans la vie active.

« Je voulais travailler dans la vente de prêt-à-porter, plus précisément dans le luxe, car j’ai toujours été attiré par cet univers ! » Il y a de quoi s’arracher les cheveux qu’il n’a pas pour ce chauve à la mine joviale. Une semaine après l’obtention de son diplôme, ses désidératas avortent brusquement sur le tarmac d’Orly. Le prêt-à-porter, le luxe, la vente sont des pages à tourner pour Dorian, ce résident de Juvisy contraint malgré lui de décoller pour l’île de la Réunion. Les racines de ce jeune homme entravent les projets qu’il s’était forgés. Il part rejoindre sa famille, son Île.

« J’ai su deux mois avant de passer mon BTS que j’allais partir à l’île de la Réunion. J’étais dans un coin assez reculé… J’étais confronté à une désillusion dans ma recherche d’emploi, car il me fallait le permis et la voiture pour travailler. Il ne faut pas oublier qu’à l’île de la Réunion, il y a plus de 30 % de chômage chez les moins de 25 ans. Là-bas les jeunes font des études et viennent en métropole travailler, moi j’ai fait l’inverse » confie Dorian.

Une fois à la Réunion, ce jeune diplômé décide de ne pas rester les bras croisés et cherche rapidement un emploi. « Je me suis donc lancé dans des petits boulots alimentaires les week-ends comme serveur dans des restaurants, pour me financer le permis et l’achat d’une voiture. Je gagnais environ 100 euros par weekend et le reste de la semaine j’allais faire des séances de code ».

Mais, le rêve de Dorian, à savoir travailler dans la vente, refait surface. Il n’a pas envie de laisser tomber et décide de tenter sa chance « j’ai également prospecté pour travailler dans la vente, mais je n’ai rien trouvé dans ce domaine. Mes projets n’arrivaient pas à aboutir, j’ai cherché à plusieurs reprises à revenir en métropole. N’ayant pas d’économie, de situation stable, je n’ai pas eu le temps et le confort nécessaire pour m’investir à fond. Je suis resté 3 ans et demi à la Réunion… J’étais au bord de la dépression, la vie que je menais ne me convenait pas. Aller dans son bled et être considéré comme un français et aller en France et être considéré comme un étranger c’est assez déstabilisant ! »

Entre rêve et désillusion Dorian, ce passionné de Hip Hop US va vite comprendre que la vie n’est pas un clip « cain-ri » ! Il est français d’origine réunionnaise et il est perdu dans un gouffre qui paraît sans fond. Balancé entre deux fronts, il recherche un avenir, une identité.

« Je gagne 600 euros par mois »

Son déclic ? Une prise de conscience face au miroir  « “je suis encore jeune, tu as quelques diplômes, je ne suis pas plus bête qu’un autre ! ” Et je me suis dit : fait quelque chose de ta vie ! ». Aujourd’hui âgé de 25 ans et influencé par son entourage, il se prend en main. Il prend un aller simple pour Juvisy, retour à la case départ.

Récemment revenu de son périple dans les DOM-TOM fin août, Dorian a retrouvé l’espoir, mais la volonté ne fait pas tout. « Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux, mais ma situation économique reste toujours aussi délicate, car le travail ne suit pas ! Mon quotidien c’est dès le réveil : 3 heures de prospection par jour, cinq envois de CV par mail. Il m’arrive de faire le tour des centres commerciaux avec une tonne de CV sous le coude ».

Malgré tout, les perspectives d’avoir un emploi stable semblent compromises « je me suis inscris à pôle emploi en 2011, mais leur rendez-vous n’ont abouti à rien. Je fais des missions d’intérim du style préparateur de commande, employé de libre de service. J’arrive à avoir des revenus avoisinant les 600 euros… Je prends tout ce qui me tombe sous la main, car j’ai des charges, un loyer de 500 euros. Je suis obligé de restreindre mes consommations courantes. Mes achats alimentaires c’est plutôt des pâtes, du riz avec et de la viande que j’achète en gros. Je ne sors pas, je n’ai plus de vie sociale. Il m’arrive d’avoir des aides ponctuelles d’amis, de mes frères qui sont restés dans la région parisienne et qui m’achètent quelques bricoles (paquet de pâtes, paquet de riz…). Je garde espoir même si c’est un peu la survie et que ma vie ressemble à celle d’un étudiant ».

Le parcours de ce jeune vingtenaire est un périple, un remake de Koh-Lanta, mais sans le sable chaud et le manioc. Selon l’observatoire des inégalités, 34,1 % des 15- 29 ans ont un emploi précaire. C’est le cas de Dorian. Ce récit c’est sa vie, une situation précaire où la peur du lendemain est une valeur en constante progression.

* Prénom modifié

Lansala Delcielo

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