Kamel Guemari n’a que 37 ans mais il fêtera dans quelques jours ses 20 ans en tant qu’employé chez McDonald’s. Ce Marseillais a rejoint le restaurant de Saint-Barthélémy, dans le 14e arrondissement de Marseille, en 1998, comme équipier. Il n’avait alors que 17 ans. Depuis, Kamel n’a cessé d’évoluer jusqu’à devenir aujourd’hui directeur adjoint. D’une voix rauque et nostalgique, Kamel Guemari se remémore ses premiers pas dans le monde professionnel. « Je suis arrivé à McDonald’s mineur, en échec scolaire, suite à une fracture familiale. J’étais même à la rue, quand j’ai commencé à travailler : je dormais sur les bancs du Vieux-Port, ou à la gare Saint-Charles. J’avais deux solutions : ou je choisissais la voie de la délinquance pour gagner ma vie ou je choisissais de bosser pour une vie décente, plus dure mais stable. J’ai été papa très jeune, j’avais des choses à assumer. J’ai décidé de tenter ma chance et de travailler »

13eme mois, première victoire syndicale comme élu FO

Les débuts dans le restaurant ne sont pas de tout repos pour Kamel. Il admet volontiers, qu’après une vie forgée à la Savine, cité des quartiers nord de Marseille, l’autorité et la hiérarchie sont difficiles à accepter. « Etre soumis à des règles, c’est difficile quand on vient de chez moi. Mais je me souviens surtout qu’il y avait une barrière dans mon langage. L’émetteur et le récepteur n’étaient pas au même niveau ! (rires) Il a fallu que je fasse l’effort de me sociabiliser. Je m’exprimais mal, mais j’avais des choses à dire ».

Des choses à dire, parfois dérangeantes pour l’enseigne. L’équipier marseillais effectue parfois des remplacements sur les restaurants McDonald’s de la Cannebière, de Bonneveine, d’Aix-en-Provence… et s’étonne que les droits des salariés ne soient pas les mêmes entre les différents restaurants. “Le burger a le même goût partout dans le monde. Pour moi, c’était normal qu’on ait les mêmes droits ». En 2007, Kamel Guermari, élu comme délégué syndical Force ouvrière, négocie une prime dite « 13e mois » pour l’ensemble des salariés de son restaurant. En 2012, cette prime est contractualisée dans 24 restaurants McDonald’s. Première victoire.

Dans ces restos McDo, j’ai vu des personnes sorties de prison se réinsérer sans qu’on leur demande de justifier leur passé, des mamans de familles monoparentales s’arracher pour offrir un arbre de Noël ou des cadeaux pour leurs minots

Depuis ce succès, la lutte sociale pour le bien-être des salariés est devenu le fer de lance de Kamel Guemari. « On travaille tous pour remplir son frigo, certes. Mais dans ces restos, j’ai vu des personnes sorties de prison se réinsérer, sans qu’on leur demande de justifier leur passé. J’ai vu des mamans de familles monoparentales s’arracher pour offrir un arbre de Noël ou des cadeaux pour leurs minots. Des jeunes qui veulent financer leurs études. On était même en lien avec des associations : quand les campagnes de jouets Happy Meal étaient finies et qu’il restait des stocks, on les donnait à l’hôpital Nord. Et je passe sur tous les jeunes qui, comme moi, ont évité la délinquance »Kamel énumère avec fierté les noms de ses collègues qui ont ouvert un petit commerce après leur passage dans son restaurant. Pour lui, c’était un tremplin social, une main tendue à qui veut s’en sortir dans un secteur qui avoisine les 60% de chômage.

Pourtant, le 7 mai 2018, Kamel apprend que le McDo de Saint-Barth, poumon économique du quartier au carrefour des cités Font-Vert, Corot et Castellas, va être cédé par McDonalds. Selon le la direction, le restaurant n’est pas assez rentable. Pour Kamel, cette cession est une volonté affichée de faire taire les revendications syndicales de ses équipes. « Je me suis senti mal. Humilié. Que mes collègues risquent de perdre leur emploi, c’est plus qu’un échec social, c’est la négation de tout ce qu’on a accompli. De tous les gosses de 3e qui font leur stage ici, à qui on apprend qu’on peut gagner sa vie proprement. Et même pour les clients, on nous retire le plaisir de partager un burger en famille dans nos quartiers. On a tendu trop de mains… on a voulu nous la couper ».

La lutte contre la fermeture du Mc Do de Saint-Barth

Kamel s’engage alors corps et âme dans la lutte pour la préservation des emplois de ses collègues. « Je n’aurais pas supporté de voir les larmes des salariés. J’ai été élu, c’est pour ne pas qu’ils souffrent. Nuit et jour, monter des dossiers, et ne pas savoir si on aura un salaire dans 5 ou 6 mois, c’est très pesant. J’ai été jusqu’à supplier le patron de ne pas fermer. Mais il n’y a eu aucune valeur humaine. Pour leurs intérêts, ils nous tuent, et de surcroît, ils tuent le quartier ». Après des mois de lutte, Kamel commence à s’essouffler.

Je n’avais plus de solution, je me sentais impuissant face à une machine qui allait tout écraser

Le 7 août 2018, Kamel Guemari intime l’ordre à tous ses employés de sortir du restaurant. Après s’être savamment verrouillé, il se filme en direct à l’aide de son smartphone, et affirme son intention d’en finir, en s’immolant par le feu dans son restaurant. « Je n’avais pas vu mes enfants depuis quatre mois. J’ai divorcé. Et on me martelait que la vente se ferait de toute façon« . Kamel reprend son souffle pour évoquer ce souvenir douloureux. « Je n’avais plus de solution, je me sentais impuissant face à une machine qui allait tout écraser »Finalement raisonné par les sénatrice des quartiers nord de Marseille, Samia Ghali, Kamel décide de rester, et de se battre, jusqu’à l’annulation de la cession, le 8 septembre dernier.

Depuis, Kamel Guemari défend ses salariés face au nouveau franchisé des cinq restaurants McDonald’s de Marseille, et partout dans le monde. « On a de belles luttes, je voyage à Lyon, Nice, Londres et beaucoup d’autres villes pour insuffler l’amélioration des conditions de travail pour les salariés qui portent le M ».

Quant à son emploi, Kamel Guemari reste encore dans l’expectative. « On me donne le choix : où je prends un chèque et j’arrête la lutte, où on me mettra la pression jusqu’au bout pour que je m’en aille. Mais si je fais le sacrifice de quitter mon emploi, ça ne sera que pour garantir des acquis solides aux salariés. Si c’est mon départ qu’il faut pour assurer la sécurité aux collègues, oui, je partirai. Je n’ai jamais travaillé ailleurs, je ne sais pas qui pourra m’embaucher… Mais pour respecter la dignité de mes collègues et des êtres humains, oui, je le ferai ».

 Sarah NEDJAR

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