On les appelle les « hitistes », littéralement les « teneurs de murs », non-profession répandue dans les quartiers. Perspective de carrière ? Généralement, aucune. Le hitiste revient toujours squatter le mur nourricier qui les a vus grandir, lui et ses potes. Partie à la rencontre de jeunes en galère, collectionneurs au mieux de petits boulots, marqués par l’échec scolaire, je croise Meheidine, 19 ans, qui a enfin trouvé la voie qui lui permettra de couper le cordon ombilical avec les murs des quartiers nord de Marseille. « J’ai trouvé ce qu’il me faut : l’armée. » Motivation réfléchie ou fuite en avant d’un jeune en quête d’un avenir ? Il nous raconte.
Comment as-tu eu l’idée de t’engager dans l’armée ?
C’est marrant que tu me demandes ça, parce que le mec du recrutement m’a posé exactement la même question, hier. J’ai raté mon BEP comptabilité et mon échec scolaire m’a incité à faire les démarches pour entrer dans l’armée. J’ai l’idée dans la tête depuis ma journée d’appel, l’année dernière.
Comment se passe le recrutement ?
J’ai passé un premier entretien, ils voulaient savoir un peu ma motivation. Le recruteur m’a posé plein de questions comme : « C’est quoi un soldat ? », « C’est quoi la journée type d’un soldat ? », ou encore « Que fait un soldat le matin au réveil ? ». En fait, je ne m’attendais pas trop à ça, j’aurais préféré que l’on m’explique tout ça avant le recrutement. Je passe un deuxième entretien de motivation la semaine prochaine. En attendant je dois me renseigner moi-même sur l’armée, les métiers etc. On m’a indiqué un site Internet à consulter, toutes les réponses aux questions doivent y être. Après l’entretien, il y a deux jours de tests à passer à Lyon, mon recruteur m’a demandé si j’étais prêt physiquement. Je ne sais pas vraiment ce qui m’attend mais je sais que ça va être très physique. Mais je suis prêt, je suis motivé. A mon retour de Lyon, le recruteur va recevoir mes notes obtenues aux tests, et alors si tout va bien, nous signerons un contrat.
Est ce qu’on t’a demandé ton CV, et ce que tu attends de l’armée ?
En fait, mon oncle m’a aidé à faire ma lettre de motivation et mon CV, et j’ai tout expliqué dans ma lettre. Même si le recruteur ne me l’a pas demandé, j’ai parlé de la galère du quartier. Il est vraiment gentil, il m’a dit qu’il avait l’habitude de s’occuper des jeunes, que lui aussi a grandi dans les quartiers, il savait ce que c’était. Pour un métier, on en a parlé un peu, mais d’abord, on s’engage comme soldat, il faut passer par là, après j’aimerais vraiment me former à un métier.
As-tu un métier précis en tête ?
J’ai postulé à l’armée de terre, parce que je voudrais être brancardier-secouriste. En fait, j’ai eu l’idée de ce métier grâce à une femme de la mission locale qui s’est occupé de moi quand j’ai arrêté l’école. Elle m’a aidé à trouver ce qui me plaît dans la vie.
Les recruteurs viennent-ils dans les quartiers ?
Je n’ai jamais vu personne venir nous parler de l’armée dans le quartier, mais parfois, il y a des affiches et c’est surtout quand tu connais quelqu’un qui passe par là que ça te donne des idées. J’ai un collègue qui a 19 ans aussi, et avec son CAP mécanique, il a été pris dans l’armée, pour s’occuper des chars, je crois. Il est à Carpentras pour six mois, il nous donne des nouvelles par messages de temps en temps. Déjà parti depuis un mois, ça lui plaît, mais c’est la galère : entre mardi et jeudi, il n’a dormi que 3 heures !
Ça ne te fait pas peur ?
Non ! Je suis prêt physiquement, même si on me dit de partir un an à l’étranger, je reste motivé. Mon but, c’est de m’engager et de faire un métier qui me plaise. Inch’Allah.
Propos recueillis par Rima Lmouaci (Marseille Bondy Blog–EJCM)
Illustration tirée de « Bloody Mary », de Jean Teulé, éditions Glénat.