Installé Porte de Clignancourt, dans le 18e arrondissement de Paris, la REcyclerie est un lieu de rencontres entre ateliers solidaires, récup’ et économie collaborative. Reportage.

Près de sept mètres de haut, que du chiné. Impossible de passer à côté de cette ancienne gare de la Petite Ceinture, vieille de cent-cinquante ans et réhabilitée après de longues années d’errance et d’abandon. L’endroit est devenu un espace privé valorisant l’écologie et le « do-it-yourself ». C’est en poussant l’énorme porte d’entrée que l’on prend toute la mesure du caractère de ce lieu. Une immense verrière, une cuisine ouverte, des plantes grimpantes, une vue plongeante sur les anciens rails occupés désormais par des jardins partagés, dans le 18ème populaire.

Martin Liot, le gérant du temple, nous fait la visite. Il présente d’abord l’atelier de René, qui propose des cours de bricolage et redonne vie à des objets. Ce n’est pas simplement une activité parmi d’autres mais une structure associative qui dynamise tout un quartier grâce à son savoir-faire. A l’extérieur, la ferme urbaine, où squattent poules et chèvres, demeure le spot idéal pour siroter des verres au moindre rayon de soleil venu, face à la voie ferrée.« Je prête le lieu, ce qui m’intéresse, c’est la dynamique qu’il y a autour de l’événement organisé », explique Martin Liot.

Réduire, réutiliser, recycler !

Martin s’arrête. Il aperçoit des pickpockets au loin. Ils viennent d’entrer et se séparer en deux groupes. C’est l’une des conséquences de la politique d’ouverture de l’endroit : tout le monde peut entrer, même sans consommer. « Personne ne vous demandera de consommer. C’est comme ça que les gens se sentent bien”. Alors certains en profitent pour boire de l’eau et se rendre aux toilettes gratuitement.« Vendeurs à la sauvette, mauvais garçons, mendiants, tous les gars de la rue viennent », raconte Martin. La sécurité est parfois assurée par les quelques vigiles présents de temps en temps. « Ils sont là le vendredi soir, explique le gérant du lieu, mais c’est assez oppressant donc je les réduis ».

Pour se restaurer, le bar central propose des produits faits main. « On fait nos propres boissons pour limiter l’usage des transports et du plastique« . Le client doit récupérer sa commande et trier ses déchets. « On croit pouvoir éduquer les gens. J’ai plein d’amis qui n’ont pas appris à trier. On peut réduire de dix tonnes nos poubelles par an, explique Martin. Et si vous ramenez un pot de compost, vous avez le café gratuitement! »Hicham et Guillaume, la trentaine, viennent d’Aulnay-sous-Bois et de Roissy : « Nous sommes bien contents de trouver un tel endroit sur Paris, c’est atypique, mais ça dépayse. Nous reviendrons le soir quand ce sera plus animé ».

Une clientèle qui n’est pas très représentative du quartier ?

La visite se poursuit. Nous voilà désormais perchés sur le toit de 150m² réservé à la végétation. Ce bout de nature apporte un contraste sonore entre la porte de Clignancourt et l’espace mellifère. Ce corridor écologique accueille les écoles environnantes toutes les semaines. « Nous ne sommes pas subventionnés mais nous sentons que nous avons un rôle à jouer dans ce domaine« , explique, convaincu, le gérant. Du côté des jardins, le poulailler, l’aquaponie et le potager entourent les cabanes en bois où adultes et enfants peuvent se retrouver pour manger un morceau. Dans le potager, chaque plante est accompagnée d’une petite étiquette qui indique son nom et son origine. De l’autre côté, les jardins partagés appartiennent aux associations locales et aux établissement partenaires. 

A ceux qui qualifient le lieu de « bobo« , Martin Liot a sa réponse. « La politique des prix ici n’est ni faible ni élevée ». C’est pourquoi toutes les catégories sociales se côtoient selon lui. « Elles varient plus que le taux de fréquentation. Le matin, c’est l’étudiant qui vient prendre son café habituel. Le midi, ce sont les travailleurs du coin. L’après-midi, ce sont les mamans en terrasse et le soir ce sont les bobos qui prennent l’apéro. Certaines classes sociales s’interdisent elles-mêmes l’accès ». Sébastien, à la recherche d’un emploi, paraît plus sceptique : « Je viens l’après-midi quand il n’y a pas beaucoup de monde, ça résonne pas mal le soir. Je trouve que la clientèle n’est pas très représentative du quartier ». Il revient sur le terme « bobo », « terme galvaudé » selon lui. « Les bobos sont précaires. Ils gagnent 1 500 euros et vivent en colocation. Il n’y a plus d’usines à Paris, il n’y a pas non plus de prolétaires”.

Yousra GOUJA

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