Entre le Sénat et la banlieue, ça devient fusionnel ! Après la cérémonie du 22 octobre consacrée aux « meilleurs » de Seine-Saint-Denis, le Palais du Luxembourg accueillait samedi la cérémonie du 7ème concours « Talents des cités ». Les douze lauréats nationaux présents ont déjà été récompensés d’un prix de 7000€ chacun, mais le prix qu’ils convoitent ce matin-là n’est autre que le prix « Espoir banlieues », un super-prix de 5000 € supplémentaire, qui n’ira qu’à un seul des douze. 

Le grand jury est composé, entre autres, de Fadéla Amara, secrétaire d’Etat chargée de la politique de la ville, Bariza Khiari, sénatrice de Paris, Christian Demuynck, sénateur de la Seine-Saint-Denis, et Hervé Masurel, délégué interministériel à la ville.

Sous la bienveillance de Turgot, Aguesseau ou encore Malesherbes, les candidats tous porteurs de projets, que ce soit dans la catégorie émergence ou création, ont prouvé lors de leur présentation combien ils regorgeaient d’idées et de dynamisme. Pour en arriver là, tous ont été coachés par des membres du club XXIe Siècle. Telle l’entreprise Mama Bissa, que je rencontre avant la remise des prix. Avec son boubou bleu-blanc-rouge, je ne pouvais rater Deme Aissata, membre de l’association des femmes de Mantes-la-Jolie, créatrice du projet : « Mama Bissa, c’est le nom de la boisson des mama, c’est le collectif des femmes dont je fais partie et qui a eu l’idée de cette boisson traditionnelle sénégalaise. Les femmes ne savent ni lire ni écrire mais elles ont un savoir faire et c’est ce que je veux prouver aujourd’hui. Alors, inch’Allah, on va gagner. » Je la complimente sur son boubou. « J’ai choisi un boubou aux couleurs de la République, car je l’aime. »

La pression monte, les lauréats, ainsi que les invités, familles et amis, doivent regagner leur place dans l’hémicycle du Sénat. Même si les lauréats semblent tous également talentueux, des photographes ne sont venus que dans un but bien précis : « shooter » Carla Bruni Sarkozy, la femme du président venue remettre le prix Espoir banlieue. Elle ne fera qu‘une brève apparition.

Fadéla Amara remercie le président du Sénat, Gérard Larcher, pour son « regard attentionné pour cette jeunesse populaire et créative ». S’adressant ensuite aux lauréats, elle déclare : « Vous êtes la force vive de la France de demain, c’est dans les quartiers que se trouve le vivier des compétences de demain et je serai là pour vous aider à créer votre club de réseau. »

La sénatrice Bariza Khiari (PS) prend ensuite la parole. Elle rend hommage à cette opération, avec un clin d‘œil à l’élection de Barack Obama : « Cette action n’est ni de droite, ni de gauche, c’est juste une bonne action et je me félicite que notre nouveau président du Sénat pérennise cette opération. Je ne peux faire l’impasse sur ce qui s’est passé au Etats-Unis, vous êtes ce potentiel-là. » Mehdi Houas, l’un des « coachs » du club du XXIe siècle, lance : « Nous sommes là pour prouver que la France, c’est la liberté d’entreprendre, l’égalité des chances et la fraternité des origines. »

Le verdict tombe enfin : d’abord le grand prix « Talents des cités ». Il récompense Karine Chevalier et Nadine Liais, créatrice de C2L, une entreprise active dans le secteur très masculin du bâtiment. Ensuite, clou de la cérémonie, le grand prix « Espoir banlieues » : il est remis par Carla Bruni, Fadela Amara et Gerard Larcher à Laurence Lascary (photo ci-dessous), qui dirige l’entreprise de production audiovisuelle De l’autre côté du périph’. Fadéla Amara est heureuse : « Le prix Espoir banlieue décerné à une femme c’est de la bombe ! » Le président du Sénat ajoute : « Nous sommes la maison des collectivités territoriales, on est le réseau des sans réseau, on va être le super réseau ! »

Une super initiative récompensée, une aide financière, un projet de partenariat avec la chaîne LCP : Laurence Lascary a fait une très bonne impression mais reste lucide. « Avant de venir des cités, nous sommes avant tout des entrepreneurs et si je suis là aujourd’hui, c’est pour dire qu’il faut arrêter de faire semblant de ne pas nous voir. Il ne faut pas nous mettre en avant parce qu’on qu’on vient de banlieue mais parce qu’on est talentueux ! » Bariza Khiari, très heureuse aussi, nous confie : « J’ai voté pour elle parce qu’elle construit les représentations, je fais un lien avec Obama, il a été élu de la fiction à la réalité, on a d’abord eu des présidents noirs au cinéma puis maintenant, dans la réalité. Il faut banaliser la diversité et c’est ce qu’elle veut, elle pourrait faire une très bonne ambassadrice des médias. »

Le dernier mot à Laurence Lascary : « Je veux mettre en avant les personnes sous et mal représentées, car les clichés perdurent. Quand on me voit arriver, jeune fille noire de banlieue, il faut se frayer un chemin et Talents des cités, c’est un tremplin; mais c’est à moi de rebondir. »

Widad Kefti

Widad Kefti

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