En 2010, le secteur de l’économie sociale et solidaire employait près de 2,3 millions de personnes en France, soit 10% des salariés. A l’université de Paris X-Nanterre qui propose un master orientant vers ces métiers, les étudiants croient à l’engagement et au modèle associatif, malgré la faible lucrativité du secteur.

« Si on est là c’est qu’on a la fibre humanitaire ». Yasmine, jeune étudiante souriante et facétieuse, en est convaincue. En master d’Action publique action sociale, elle a décidé de s’ouvrir à l’Économie sociale et solidaire ou la fonction publique. Une bonne partie de cette promo n’exclut pas une carrière tournée autour du monde associatif. Mais qu’est qui pousse des jeunes à se professionnaliser dans un secteur peu lucratif et potentiellement précaire ?

Composée de 10 étudiants aux profils divers, sociologues, juristes, travailleuses en reprise d’étude, plutôt mixte (4 hommes pour 6 femmes) tou(te) s partagent une propension à la solidarité.

Claudia voit dans cette formation un moyen de réaliser son rêve d’enfant, devenir « Médecin Sans Frontières ». Violaine, studieuse et appliquée, souhaiterait vivement intégrer la direction d’une association pour leur mode de fonctionnement. Celles-ci selon elle « sont en contact avec les citoyens, c’est eux qui prennent les décisions ». Ces structures représentent donc un idéal de démocratie et de citoyenneté et, ajoute-t-elle « jouissent d’une certaine liberté qu’on ne retrouve pas forcément quand on travaille dans les services publics ». Déjà bien engagée dans ce milieu, elle travaille depuis quatre ans à la MJC de Ris-Orangis (91) en tant que « coordinatrice enfance jeunesse ».

Yasmine, de son côté, a été confrontée à la très grande précarité lors d’un stage à Emmaüs, qui a, selon ses mots « mis un terme à sa carrière en tant que travailleuse sociale », mais en parallèle, lui a permis de « grandir en maturité ». Sensible aux situations difficiles des bénéficiaires, elle renonce donc au travail associatif de terrain, mais souhaite continuer à « aider son prochain ». Elle souligne avec justesse « Ce n’est pas parce qu’on a la fibre associative qu’on veut à tout prix bosser dans des associations, moi par exemple je ne veux pas travailler dans une association, mais je veux avoir des missions qui sont en adéquation avec les valeurs associatives ».

Benjamin, 26 ans, après de brillantes études de sociologie politique, a pour projet d’évoluer dans l’agriculture coopérative, alternative à l’agriculture industrielle, « je trouve intéressant ce retour à la terre pour prendre une expression un peu lyrique ». Il ajoute « le deuxième aspect que je trouve plus qu’intéressant, c’est l’aspect coopératif qui est nécessaire non seulement au vu de la crise économique et financière, mais même de la crise morale finalement liée au capitalisme ». La professionnalisation dans ou en collaboration avec le secteur associatif semble également pouvoir représenter une alternative au néolibéralisme.

Dans l’ensemble, la lucrativité limitée des débouchés est acceptée par tou(te) s, et justifiée par d’autres objectifs. Yasmine qui est également diplômée en santé et sécurité au travail déclare ; « avec mon master, j’aurais pu être très bien rémunérée en prévention des risques sécurité, et là c’est vraiment des salaires où tu commences avec 3000-4000 euros, mais après je me dis est-ce que je peux vivre quarante ans dans un milieu qui me plait pas et être payée 4000 euros, ou alors faire ce que j’aime au quotidien c’est-à-dire vraiment d’aider les personnes et de me sentir vraiment utile ? ». Cependant, Lucie, 29 ans, éducatrice spécialisée en reprise d’études, souligne la nécessité d’une plus grande « reconnaissance financière » dans le travail associatif. Cela pose de fait la question suivante : après plusieurs années dans un secteur où l’engagement est central, la question du manque de rétribution financière ne devient-elle pas un frein à la motivation ? Autrement dit, cette volonté d’utilité publique résiste-t-elle à la précarité relative de ce milieu professionnel ?

Mathieu Blard

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