C’était le 8 septembre. Jamais de mémoire de restaurant une aussi belle scène de liesse n’avait été observée. Dans le fast-food McDonald’s du 14ème arrondissement de Marseille, situè dans les quartiers nord de la cité phocéenne, aux embrassades succèdent les larmes et aux larmes, les premiers sourires. Il ne s’agit ni d’anniversaire ni autre fête d’enfants mais de la célébration d’une victoire salariale. Après plusieurs mois de bataille, les salariés du McDonald’s de Saint-Barthelemy viennent d’apprendre ce qu’ils revendiquent depuis des semaines : l’interdiction de la vente du restaurant prononcée par le juge des référés. Des femmes et des hommes en uniforme noir flanqué du « M » jaune bien reconnaissable entonnent en choeur : » On a gagné​ ! ». Placardées sur les vitres du restaurant, des feuilles de papier indiquent : « On veut travailler ».​ Ce travail, les 77 employés du McDonald’s de Saint-Barthélémy, dont 55 en CDI, ont bien failli le perdre. Mais leur combat est loin d’être terminé.

McDo, 2ème employeur privé du secteur et lieu de détente

Leur lutte a commencé il y a six mois, le 7 mai 2018, à l’annonce en comité d’entreprise du projet de cession de six restaurants McDonald’s dans l’agglomération marseillaise. Sur ces restaurants cédés par un même franchisé, Jean-Pierre Brochiero, cinq devaient être repris par McDonald’s. Le projet prévoyait la vente d’un seul de ces fast-food, le « McDo Saint Barth », comme il est surnommé dans les quartiers Nord, à un autre repreneur : la société Hali Food, qui prévoyait de transformer le fast-food en restaurant asiatique halal.

Niché dans une vallée de barres et de tours, le restaurant dessine le carrefour des cités Corot, Font-Vert et Castellas, « en terrain neutre », aime à se satisfaire la direction. Dans ces quartiers sensibles, le taux de chômage avoisine les 60%. Et la présence de ce restaurant est loin d’être un détail : après l’hypermarché Carrefour, le McDo représente le deuxième employeur privé du secteur. “Pour la plupart, ce sont des mères célibataires​ », précise Salim Grabsi, membre du Syndicat des quartiers populaires de Marseille. Les minots, c’est ici qu’ils font leur stage, apprennent que l’argent peut se faire proprement. Et puis c’est un quartier difficile, vous savez. C’est un de nos derniers lieux de détente ».

Moi, j’appelle ça un plan social déguisé

Interrogé sur le motif de la vente de cet unique restaurant, McDonald’s France est formel : le McDo de Saint-Barth tourne à perte. « En 9 ans, ce restaurant a perdu 3,3 millions d’euros. Son chiffre d’affaires stagne. L’année dernière, le franchisé faisait 400 000 euros de perte alors que nous lui avions exonéré 300 000 euros de loyer », précise le vice-président Sébastien Bordas. Et d’ajouter que la firme Hali Food avait déjà déposé un permis de construire, ainsi qu’un dossier auprès de la préfecture garantissant la reprise de l’ensemble des salariés.

« Moi, j’appelle ça un plan social déguisé, s’insurge Me Ralph Blindauer, l’avocat des salariés. Au bout de 3 mois, Hali Food se casse la figure, les pouvoirs publics paient les pots cassés et McDo s’en lave les mains ». L’avocat dénonce également la méthode « mafieuse » du repreneur potentiel qui n’aurait déclaré que 8 000 euros d’investissement dans le projet de reprise. Quid des raisons ? Pour le porte-parole de l’intersyndicale, Tony Rodriguez, il est clair : ​ »On veut couler ce restaurant car il est très actif sur le plan de la lutte syndicale. L’ambiance y est soudée, familiale et nous avons des avantages sociaux comme le 13e mois ». ​Une plainte a été déposée contre X pour tentative d’escroquerie et association de malfaiteurs en vue de commettre une escroquerie.

La décision du juge des référés est claire : il a fustigé l' »insuffisance grossière et manifeste de moyens humains, financiers et matériels », du repreneur, le tout sous peine d’astreinte de 500 000 euros.

Clairement, le McDo m’a sorti de la merde. On m’y a offert la réinsertion. Et puis j’ai bossé, j’ai pu évoluer, construire une vie à peu près sereine

Le MacDo de Saint-Barth’, une « deuxième maison »

La lutte judiciaire et sociale a été l’occasion pour chacun de partager son histoire avec McDo Saint-Barth. Comme Nordine, 27 ans, qui a pu décrocher un poste d’équipier à sa sortie de prison. ​ »Clairement, le McDo m’a sorti de la merde. On m’y a offert la réinsertion. Et puis j’ai bossé, j’ai pu évoluer, construire une vie à peu près sereine ».

Quant à Zohra, elle n’hésite pas à parler d’une deuxième maison. ​ »Oh finalement je vais même dire première maison », se reprend-elle, la mine sérieuse. ​Eh oui, parce que si je ne travaille pas, comment je pourrais m’en sortir ? » L​es anecdotes se suivent, diffèrent, puis convergent en un point : l’emploi comme bouée de sauvetage, dans une zone violente, morose, laissée pour morte par les services publics. Les yeux rougissent et se vissent au sol à la simple évocation de la perte de cette bouée. Une angoisse constante qui a bien failli déboucher sur une tragédie.

Kamel Guemari, sous-directeur prêt à s’immoler

C’était le 7 août 2018, Kamel Guemari, sous-directeur de l’établissement, invite tous ses employés à sortir du restaurant. Il s’y enferme. Puis, il saisit son smartphone et entame une vidéo en live, diffusée sur les réseaux sociaux. Visiblement ému, Kamel explique la situation de crise dans laquelle sont plongés ses employés depuis plus de trois mois, avant de menacer de détruire le restaurant en s’immolant par le feu. Au sol, plus d’une vingtaine de jerricans d’essence. La scène dure une vingtaine de minutes avant la négociation d’une porte de sortie : Kamel exige de s’entretenir avec Jean-Luc Mélenchon, député de la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône ou la sénatrice, Samia Ghali. Elle s’entretient au téléphone avec le sous-directeur qui, rasséréné, abandonne ses idées suicidaires. ​ »Je me battrai aux côtés de mes collègues jusqu’à ce que le McDonald’s de Saint-Barthelemy soit préservé ».

Proposition de reprise du McDo Saint-Barth par Mohammed Abbassi

Le 8 septembre, le juge des référés tranche en faveur de Kamel et ses employés. La cession à Hali Food est interdite. Mais la bataille est loin d’être terminée. Le 19 septembre, lors d’une table ronde, Mohammed Abbassi, repreneur des 5 autres restaurants marseillais, et à la tête de 8 autres restaurants de la firme américaine, a exprimé son souhait de reprendre également le McDo de Saint-Barth. Avec de lourdes conditions néanmoins : quatre postes de direction devront être supprimés. Parmi eux, celui de Kamel Guemari, également syndiqué FO, figure de proue du mouvement. Economie estimée de la suppression des postes: 400 000 euros par an sur la masse salariale.

Prochaine échéance, le 18 octobre avec l’audience sur le fond de l’ensemble du projet de cession des restaurants McDonald’s devant le Tribunal de grande instance de Marseille. « On est content, c’est sûr, mais c’est pas terminé, tempère Rayan, un salarié. ​Le projet de cession pour les autres restaurants est toujours valide, on le suivra de très près avec notre avocat pour protéger l’emploi des collègues ». 

Sarah NEDJAR

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