Après des études supérieures studieuses, nombreux sont les jeunes diplômés à ramer pour décrocher un emploi. « Ils ont cinq fois moins de chance d’avoir un entretien d’embauche », affirme Yazid Chir, le président de l’association Nos quartiers ont des talents. Thomas Romain et moi avons assisté à la grande réunion de lancement de la promotion 2008. Un radio-crochet pour banlieusards ? Presque. Le but du programme est de mettre à disposition de jeunes diplômés en mal de carrière professionnelle, dits « filleuls », le réseau et les conseils de professionnels actifs, appelés « parrains ».
Rendez-vous à 8 heures devant l’espace Grande Arche de la Défense pour une demi-journée de présentation. Petit pull bleu marine, jolie chemise, Thomas a fait un bel effort vestimentaire. J’ai failli ne pas le reconnaître ! Nous sommes beaux, diplômés, souriants et motivés, comme les dizaines de jeunes tirés à quatre épingles autour de nous. A droite, petit stand de ventes de T-shirt à l’effigie de la salle de conférence. Nous l’ignorons. Au fond, les hôtesses nous attendent pour nous tendre à l’annonce de notre nom un badge vierge et la charte du projet. Allons voir à l’intérieur ce qu’on nous réserve !
Les jeunes, moins de 30 ans ayant au moins une maîtrise et à la recherche d’un emploi en adéquation avec leur profil, vont donc rencontrer leur parrain. Aux premiers sont attitrées les places du fond, les préférées des cancres, aux seconds les premiers rangs, traditionnellement réservés aux chouchous du prof.
De 9 heures à 11h30, les représentants de l’association se succèdent, annonçant leurs bons résultats des deux années précédentes et leur croissance exponentielle. Le temps de recherche d’emploi passe de 10 à 5 mois grâce au parrainage, et l’objectif de cette année est de recruter 2000 jeunes. Les entreprises se félicitent d’avoir intégré un programme aussi nécessaire que brillant. Et les élèves écoutent et applaudissent sagement. Le champ lexical de la lutte contre les inégalités est allègrement utilisé : diversité, discrimination positive, égalité des chances, intégration… Les quartiers n’ont même plus besoin de qualificatif ; ce simple mot est devenu synonyme de « banlieues ».
Mais au fait, qui sont ces jeunes ? Parmi eux et par le jeu du hasard, quelques-uns ont accepté de répondre à nos questions.
Première interrogée : Christine, 20 ans, titulaire d’un DUT Techniques de communication au CFA de Champs-sur-Marne. Je pensais avoir dégoté une diplômée enthousiaste, mais mauvaise pioche ! C’est une future marraine : « Je n’ai aucun a priori sur les personnes que je vais parrainer. Le but de ma présence, c’est tout simplement de recruter mes futurs collaborateurs. »
J’ai plus de chance avec la personne suivante : David, 27 ans, habite Alfortville et possède un Master en management d’une école de commerce de la région. Après avoir travaillé pendant un an, il se retrouve sans activité depuis six mois. Il me répète comment les employeurs justifient de ne pas l’embaucher : « Ils trouvent mon bagage professionnel un peu léger. » Se sent-il discriminé du fait de son lieu d’habitation par exemple ? « Je ne pense pas que ma ville soit un facteur discriminant. J’essaie de ne pas me parasiter avec ce genre d’idées. Ça peut devenir brisant pour la recherche d’emploi. »
Jani, 25 ans, de Villemomble en Seine-Saint-Denis, a elle aussi décidé de profiter de l’aubaine pour se faire un réseau. Elle est américaine et ne me cache pas la difficulté qu’elle a eu à décrocher un emploi il y a deux ans lorsqu’elle est arrivée en France. « C’est parce que je ne parlais pas parfaitement le français, analyse-t-elle. Alors j’ai décidé d’étudier pour un second Master en affaires internationales. Je suis ici aujourd’hui pour trouver un futur maître de stage pour mon projet de fin d’études, avoue-t-elle. »
Mon troisième jeune diplômé est resté anonyme. Il rentre définitivement d’un séjour professionnel à Londres dans le monde de la finance. « Je préfère vivre en France, répond-t-il simplement. J’ai rencontré pas mal de jeunes comme moi qui sont restés, mais Londres c’est pas mon truc. »
Côté « adulte responsable ayant trouvé un emploi », quel est le profil ? Outre Christine, j’interroge Bernard, responsable du MEDEF des Ardennes, département dont le solde migratoire est négatif. Selon lui, « si les entreprises n’embauchent pas, c’est que l’ANPE n’a pas su aller chercher ces jeunes là où ils sont. On nous présente toujours les mêmes styles de personnes », regrette-t-il. Autre profil de marraine, Lise de l’association l’Arche des Arts. Elle est heureuse d’avoir deux filleules à qui elle compte apporter un soutien régulier et son réseau. « Nous nous contactons environ une fois par mois, par téléphone, par email ou de visu. Je les guide pour trouver des mécènes et leur apprendre à se vendre. »
Sur scène, les tables rondes se terminent et les participants laissent la parole à Laurence Parisot, présidente du MEDEF, qui conclut par un partisan et enthousiaste : « L’entreprise c’est la vie ! » Enfin l’occasion pour filleuls et parrains de se rencontrer ? Pas encore, il faudra encore attendre. Je retrouve David, qui « a trouvé cette réunion très intéressante. Après les beaux discours, j’attends de voir s’il y aura une réelle dynamique pour ma recherche d’emploi ».
Nous essayons d’interroger Yazid Chir, le président et fondateur de l’association. Après maints essais, je ne récolte qu’une réponse à propos de la difficulté à monter l’opération. « Ça a été dur de récolter des fonds, répond-t-il simplement et avec le sourire. Le premier financeur [pour la promotion 2006] a été le MEDEF de Seine-Saint-Denis. Mais comme le projet a pris de l’ampleur, nous avons pris le risque de démarrer sans financement. Heureusement, on a été suivis par les entreprises, l’ANPE et le MEDEF national. » A peine le temps de lui poser une seconde question sur les possibles évolutions du dispositif, à savoir un suivi plus attentif à la parité, le soutien d’organismes de formation pour intégrer les moins diplômés, qu’une collaboratrice le saisit.
Je le happe à nouveau quelques minutes plus tard, pour un échange de cartes de visite. Je crois que notre conversation n’est pas terminée…
Bouchra Zeroual