Il aura fallu l’agression de deux jeunes femmes, l’une assassinée le 19 avril en forêt de Chantilly près de Paris, la seconde violée à Cannes pendant le festival du même nom, pour débloquer la situation sur le front des taxis. La profession – véritable cartel – croyait avoir remporté une nette victoire en faisant capoter, au début de l’année, le projet Attali prévoyant une déréglementation du secteur. Face à ces drames répétés, commis par des individus se faisant passer pour des chauffeurs de taxis, la voilà prête à négocier une réforme présentée il y a une dizaine de jours par la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie. La réputation de tout un métier est en jeu : les clients doivent pouvoir monter dans un taxi sans appréhender de se faire trucider.
Un taxi se reconnaît au luminaire installé sur son toit. Mais cela ne suffit apparemment plus. Les touristes étrangers visitant la France sont les plus vulnérables. Ils peuvent être relativement facilement abusés par un inconnu qui leur proposera une course dans sa voiture personnelle, dépourvue de signe distinctif. La mort, le vol ou le viol sont choses extrêmement rares, mais le coût prohibitif du trajet, lui, est garanti. Pour les vrais taxis, c’est un manque à gagner.
Pour éviter les confusions, Michèle Alliot-Marie veut que les taxis français soient peints de deux couleurs, chaque ville ayant les siennes. Exemple : bleu et rouge pour Paris. Ainsi distinguera-t-on les vrais des faux. Et les clients qui se font arnaquer ne pourront plus prétendre qu’ils ont été trompés. La ministre a annoncé deux autres mesures : le passage de 15 000 à 20 000 taxis à Paris (qui en manque cruellement de l’avis des usagers) et l’ouverture en 2009 d’une voie qui leur sera réservée sur l’autoroute reliant la capitale à l’aéroport Charles-de-Gaulle, afin de fluidifier le trafic des taxis sur cet axe, très rentable pour eux.
Le syndicat national des taxis, la FNAT, a accueilli sinon favorablement, du moins sans cris, l’annonce de ces changements. Mais cette relative sérénité cache en réalité un mécontentement. Une fois de plus. Samir, jeune chauffeur de taxi professionnel, ne veut pas repeindre sa voiture en deux couleurs. « Qui c’est qui va payer les travaux de peinture ? C’est nous », rouspète-t-il. « Je n’ai pas investi 30 000 euros dans une Mercedes pour en faire une bicolore, poursuit-il. C’est ma voiture, je ne veux pas ressembler à un clown quand je vais en vacances au bled. »
Les cas d’agressions mis à part, reste la question des taxis clandestins, soit des particuliers qui exercent frauduleusement la profession de chauffeurs. Impossible de savoir combien ils sont, mais certainement nombreux. Michèle Alliot-Marie a indiqué que « sur une cinquantaine de taxis contrôlés, six étaient clandestins ». Les mesures annoncées réduiront-elles leur quantité ? Pas sûr. La ministre et le syndicat s’entendent pour faire porter le chapeau des viols et assassinats aux taxis clandestins. Mais la demande est là.
« S’il y a pénurie de taxis, en particulier dans Paris, c’est notamment en raison d’un trafic bouché, estime Samir. Aux heures de pointe, l’attente peut être longue. Les clandestins viennent alors démarcher les clients dans les queues, après avoir stationné leurs voitures dans des parkings ou aux déposes rapides des gares. »
Les taxis clandestins sont souvent conduits par des étrangers. Et les détenteurs de vraies licences sont de plus en plus issus de l’immigration. « C’est un métier dur, affirme Samir, effectué sept jour sur sept. Trop dur pour les Français. »
Antoine Menusier