Les « matinées de l’ambassadeur » des Etats-Unis à Paris sont toujours très courues, même quand l’ambassadeur n’est pas présent. En écho au sommet américain de l’entrepreneuriat inauguré par Barack Obama la veille à Washington, patrons, jeunes entrepreneurs, ONG et journalistes ont assisté mardi 27 avril à une réunion-débat dont le thème était « La promotion de l’entrepreneuriat et les moyens de promouvoir les communautés musulmanes à travers le monde. » Dans le salon privé, difficile de se frayer un chemin. Pas loin de 250 personnes. Mark Pekala, chargé d’affaire à l’ambassade ouvre la matinée et déploie tout le lexique du pragmatisme à l’américaine.

L’auditoire semble captivé. Pas un murmure. C’est au tour de Karen Wilson, de la Fondation Kauffman : « Nous réfléchissons à la façon d’ouvrir l’entreprise aux jeunes, aux femmes et aux minorités », dit-elle. Des patrons français sont également de la partie, les relations entrepreneuriales, ou leur rareté, ou leur absence, avec les Français musulmans étant un sujet également débattu en France. Dans les médias et chez les politiques. Dans le monde de l’entreprise, peu ou encore, donc.

En cette « matinée de l’ambassadeur » consacrée à l’insertion des minorités musulmanes, autrement dit de minorités vues sous le prisme de la religion, les personnes présentes ne se sont bizarrement pas posé la question qui donnait son sens à la rencontre : la religion n’est-elle pas aussi un facteur de diversité à intégrer dans les politiques de diversité au même titre que la couleur de peau ou du patronyme ? Pas de réponse.

Le thème du sommet inauguré lundi par Barack Obama, l’islam et l’entreprise, n’a pas été abordé le lendemain à Paris. On a certes parlé de « diversité » mais dans des termes plutôt lyriques. « Diversité est un mot français et j’espère qu’il le restera longtemps pour construire un monde meilleur », a déclaré Pierre Nougué, PDG d’Ecosys Groupe et fondateur des journées de l’entrepreneur. Applaudissements. Le mot « musulman » n’est pas prononcé.

Acmé de matinée, la retransmission en différé du discours d’Obama. Le staff s’empresse de rabattre les rideaux. Le salon se transforme en salle obscure. Même en vidéo, le jeune président en impose. Lancé dans son speech un peu lyrique aussi, Obama revient sur les points communs des participants au sommet à Washington. « Riche mosaïque de grandes traditions » et « sa volonté d’approfondir les liens entre dirigeants d’entreprises, les fondations et les entrepreneurs des Etats-Unis et des collectivités musulmanes… »

Dans la salle, on chuchote, on commente. Les bilingues anglais ne ratent pas une miette de la parole présidentielle. Les autres tentent de repérer les passages à travers la traduction fournie. Le discours est aussi l’occasion de rendre hommage à plusieurs entrepreneurs du monde arabo-musulman. Soraya Salti, une Jordanienne, coache des jeunes dirigeants ou encore Mohamed Ibrahim, à la tête d’un groupe de télécommunications en Afrique. C’est bon à savoir…

Une table s’ensuit. On revient sur certains thèmes abordés par Obama. Entreprises, musulmans, vivre-ensemble… Des sujets qui passionnent Outre-Atlantique. Plutôt objet de crispation en France. Autour de la table, pas de vedettes, mais des entrepreneurs chevronnés. Tous emballés à l’idée que l’entreprise rassemble. Parmi eux, Sandra Legrand à la tête de Canalce, une entreprise tournée vers les comités d’entreprise. Son crédo ? Manager l’entreprise en prenant en compte les contraintes de la parentalité. Elle qui a passé 10 ans chez Coca Cola vante le côté positif des Américains « qui veillent à préserver » leurs employés, notamment les femmes. Entreprendre autrement donc.

Jean-Marc Borello, président de SOS, un groupe initialement dédié à la prévention de la drogue et du Sida, en sait quelque chose. SOS est aujourd’hui un acteur-clé de l’entrepreneuriat social. Pour lui, pas d’opposition entre les solidarités internationales et les problèmes nationaux. « Ne mettons pas de l’idéologie là où il n’y en a pas… » Et d’ajouter, l’entrepreneuriat, c’est le « ready to globalize ». Le discours-type de l’entrepreneur bien dans ses skets…

Le costume de PDG, Diaa Elyaacoubi le porte sans complexe. Cette jeune femme, ingénieur en télécommunication, dirige Streamcore. Pour elle, il est urgent de promouvoir l’entrepreneuriat en France. Aux Etats-Unis, quand quelqu’un réussit, on le montre en exemple. En France, on le met en retrait. Femmes, social et gestion du succès, tout y passe. Sauf les musulmans, ou les chrétiens, les juifs, les bouddhistes et d’autres, d’ailleurs. La religion, tabou en entreprise ? En France, oui.

Nadia Moulaï

Nadia Moulaï

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