bOuvert en 2006 par Jean-Pierre Mignard, le cabinet Lysias Partners situé près du quartier du Chêne-Pointu à Clichy-sous-Bois n’est pas un banal cabinet d’avocats comme on peut en trouver partout. La mort de Zyed et Bouna, le 27 octobre 2005, a tracé une partie du destin d’Oussama, 18 ans, Bilal, 20 ans et Khaled, 33 ans (photo de gauche à droite: Khaled et Oussama). Les deux premiers sont salariés au sein du cabinet, le troisième est pour l’heure stagiaire et prépare le concours d’entrée à la formation d’avocat. Tous ont soif de justice. Oussama et Bilal, dans la lignée de Khaled, ambitionnent de porter la robe un jour. Oussama, actuellement en terminale au lycée Alfred Nobel, a posé sa candidature pour intégrer Sciences-Po. En attendant de réaliser leurs objectifs, ils s’investissent à 100%.

Comment avez-vous connu Jean-Pierre Mignard, comment en êtes-vous venus à intégrer ce cabinet ?

Oussama : J’ai connu Jean-Pierre Mignard sur le tournage du film L’Embrasement, dans lequel j’étais simple figurant. Lors d’une scène où les acteurs principaux interprétaient le rôle des avocats de Zyed ou Bouna, j’ai demandé où étaient les vrais avocats. C’est là que j’ai rencontré Jean-Pierre Mignard. Je lui ai fait part d’un souci qui me tracassait. Je lui ai raconté qu’au collège, une prof m’avait insulté de Ben Laden. Je lui ai dit que s’il voulait régler l’affaire on devait faire 50/50 ! Ça nous a fait rire. Nous avons échangé nos numéros de portable. Il m’a contacté un jour et m’a dit qu’il allait ouvrir un cabinet d’avocats sur Clichy-sous-Bois et m’a demandé si ça m’intéressait d’y travailler.

Bilal : Ma rencontre avec Jean-Pierre Mignard se rattache directement aux événements tragiques de 2005. On avait besoin d’un avocat. Je suis parti voir les journalistes. L’un d’eux m’a donné le numéro de maître Mignard. Et puis nous avons convenu d’un rendez-vous avec les familles des victimes. Automatiquement, ça a collé entre nous.

Khaled : En ce qui me concerne je n’habite pas à Clichy, je suis originaire de Paris. J’avais vu Jean-Pierre Mignard et son associé Emmanuel Tordjman dans une émission de télévision. J’ai été très touché par leur intervention et par le fait aussi qu’un grand avocat parisien vienne s’impliquer autant dans une affaire dans laquelle deux jeunes ont été victimes, à mon sens, d’une agression raciste. Les circonstances de la rencontre avec M. Mignard relève de l’anecdote, comme pour Oussama et Bilal. Moi, c’était sur l’autoroute ! Le trafic était dense, les véhicules roulaient au pas, et sur la file de gauche, j’ai reconnu M. Mignard. Nous avons abaissé nos vitres et discuté. Ça tombait bien, je terminais mes études de droit. Il m’a donné sa carte de visite et nous nous sommes revus par la suite.

Quelles ont été les réactions au quartier ? Est-ce perçu comme une réussite, une chance, ou au contraire ressentez-vous du mépris ?

Oussama : Personnellement je reçois des encouragements. Il n’y a pas de jalousie entre nous. Au contraire, il se dit qu’au moins l’un de nous s’en sort et que c‘est mieux que tout le monde dans la galère. C’est plutôt de l’extérieur qu’il peut y avoir du mépris. On a tellement été stigmatisés, mis de côté, que maintenant, quand on essaie de réussir, limite ça choque.

Bilal : Ça fait plaisir à tout le monde, et puis un cabinet d’avocats à Clichy-sous-Bois, c’est très bien pour les habitants. Ça rend service à tout le monde.

Khaled : Il y a une chose fondamentalement importante : la défense du droit. La profession d’avocat est une profession noble. Face à la pression de l’Etat, face aux lobbies, face aux gens qui ont de l’argent, tout ce qu’il reste aux gens défavorisés, c’est l’accès aux règles républicaines pour pouvoir se défendre. Il y a aussi une vision valorisante des autres Clichois qui se disent : « On va avoir quelqu’un ici, quelqu’un de chez nous », quelqu’un qui est susceptible de faire valoir les droits des plus défavorisés, une sorte de porte-voix en somme. Il y a un manque de culture : les gens n’ont pas, par exemple, l’habitude d’aller saisir les juridictions. Le premier pas pour accéder à la citoyenneté pleine et entière, c’est d’être capable d’utiliser les mécanismes de défense lorsqu’on est attaqué. Et par rapport à ce que dit Oussama, sur le fait que les gens qui ne connaissent pas la banlieue puissent être étonnés, voire gênés de voir que l’on veut et que l’on réussit à s’en sortir, il y a les a priori qui existent, tout le monde en a. Il y aussi les a priori qui sont entretenus, notamment par les médias. Malheureusement, il a fallu qu’il se passe un événement dramatique pour que les gens ouvrent les yeux. C’est un peu malheureux à dire, mais d’une certaine façon c’est un mal pour un bien.

Finalement, après la pluie vient le beau temps, c’est ça ?

Khaled : Oui, d’une certaine façon, le drame de Zyed et Bouna a abouti à une prise de conscience et à un regard nouveau. On se pose la question de savoir : si Zyed et Bouna n’étaient pas décédés, est-ce que, jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat on parlerait de Clichy, et des banlieues d’une manière plus générale ? C’est intéressant de voir que durant la campagne présidentielle, les candidats eux-mêmes ont fait référence à Clichy-sous-Bois. Cette ville-symbole cristallise finalement tous les problèmes de la société française : problèmes raciaux, de mixité sociale, de logements, d’échecs scolaires, de chômage, de compartimentage des communautés, de manque de communication avec les services publics, etc. L’un des problèmes les plus importants, je pense, est celui des transports sur la zone 93. L’Etat a mis en place des lignes minimums pour relier la capitale à certaines villes de banlieue, mais ne pense pas à la vie inter-banlieue : comment je vais pour me déplacer d’une commune à l’autre au sein du 93, si je travaille et suis sans voiture ou décide de ne pas utiliser ma voiture ? Comment faire la promotion de l’emploi, de même comment diminuer les actes de délinquance si on ne met pas les moyens pour ça ? Le côté positif dans tout ça, c’est que désormais des gens commencent à se poser ces questions-là, parce que Clichy concentre les maux de la société française.

Propos recueillis par Hanane Kaddour

Hanane Kaddour

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