Alexandra, Thomas, Julien et Mustafa créent leur business. Les quatre associés âgés de 25 à 27 ans, sont diplômés d’Advancia, une école de commerce pas tout à fait comme les autres, puisqu’elle concentre son enseignement sur la formation des entrepreneurs, favorise les projets concrets et la découverte du métier par l’alternance. Pour intégrer d’autres établissements, il faut avoir accompli deux ans intensifs de prépa commerciales, présenté un concours et avoir obtenu un minimum de 700 points au GMAT (Graduate Management Admission Test, un système américain d’évaluation des capacités du candidat en management qui se déroule en anglais, of course !).

Mais de quel business s’agit-il ? Du prochain produit miracle destiné à la ménagère de moins de 50 ans ? Pas vraiment, à moins que la ménagère de moins de 50 ans ne soit un entrepreneur dans l’âme car ces entrepreneurs s’adressent aux entrepreneurs. Ils ont décidé de créer une radio sur internet, baptisée Widoobiz et dédiée aux auto-entrepreneurs, aux sociétés unipersonnelles et aux petites et moyennes entreprises, les TPE-PME, dans le jargon.

Au début, Alexandra, Thomas, Julien et Mustafa songeaient à une radio qui émettrait 24h/24, mais il leur fallu s’adapter : d’une part parce que la bande passante (FM) est saturée et qu’il très compliqué d’obtenir l’autorisation d’émettre ; d’autre part parce que la FM est en voie de disparition, tout comme la télé hertzienne est devenue numérique avec la TNT. Ainsi une « RNT », radio numérique terrestre va-t-elle voir le jour et, pour rester dans la course technologique, il faut anticiper.

Ensuite, le format 24h/24 a été raboté : la quantité et la diversité des contenus nécessaires imposent un rythme difficile à tenir pour la jeune structure dont les statuts viennent tout juste d’être déposés. Le format a donc évolué, normalement ce sera 1h30 par jour de contenu original qui pourra être téléchargé. Nos quatre entrepreneurs en herbe ont choisi la radio pour une raison bien simple : c’est le seul média qui, pour l’auditeur, permette de faire deux choses en même temps : écouter et repasser le linge (c’est un exemple…).

Les contenus se consacrent aux problématiques des TPE-PME : pourquoi ne pas embaucher un senior, comment déclarer sa TVA, quel restau pour un dîner d’affaires… Par ailleurs, une radio internet permet de se développer facilement à l’international. Alexandra, Thomas, Julien et Mustafa y ont pensé : des entrepreneurs-auditeurs sur tout le globe pourront partager leurs expériences, témoigner, se donner des conseils…

Un site internet pour soutenir la radio et télécharger les podcasts va voir le jour. C’est une question de temps. Lorsqu’on leur demande « c’est pour quand ? », la réponse peine à venir : quelques semaines, en octobre, c’est promis ! Car ils n’en finissent pas de finir. Ce n’est pas encore le moment du retour sur investissement, il ne manque plus que le local radio. Ces quatre entrepreneurs peaufinent leur projet depuis presque un an dans l’incubateur de leur école. Ils ont même obtenu un soutien (essentiellement logistique) de la région Ile-de-France qui salue le caractère innovant du projet. Pour le moment, la majorité des associés dépendent de Pôle Emploi pour leur survie comme beaucoup de personnes présentant le même profil qu’eux.

Les quatre sont issus pour la plupart de familles d’entrepreneurs. Thomas (ci-contre à droite), chargé de la programmation et des contenus, a suivi les traces de son père. Il est né à Paris et a grandi en banlieue, dans un petit coin de l’Essonne (91) de 4000 habitants, La Norville. Mustafa (ci-contre à gauche), d’origine turque, qui admet avoir l’idée d’entreprendre depuis très jeune, est né à Orléans, il a grandi dans un petit village : Ouzouer le « Ché-Mar » (en verlan dans le texte !) et après le lycée, où il a développé une passion pour l’électro, il s’est mis à « bidouiller » les sons (ce qui l’avantage dans son activité actuelle car il assume le poste de responsable de la diffusion). Il était clair pour lui qu’il devait passer par l’école parisienne pour apprendre à monter des boîtes.

Julien (ci-contre) assume le rôle de gérant de Widoobiz. D’origine indo-italienne, il né à Paris 13 et a grandi à Sanois, dans le Val d’Oise (95). Autant dire qu’il a baigné dans la TVA et les déclarations d’URSSAF depuis l’enfance, car ses parents géraient plusieurs établissements dans le monde de la nuit (cabaret, dîner-spectacle). Plus jeune il n’aimait pas trop l’école, la théorie « c’est pas mon truc », confie-t-il, c’est pourquoi il s’est orienté vers un BEP Compta. Il s’est retrouvé en 1ère d’adaptation et n’a pas tenu un mois, alors il a réussi à convaincre ses parents de lui confier un établissement. Il est devenu donc gérant et s’est rendu compte de l’étendue des responsabilités : pas de temps pour s’amuser ! Il a alors décide de retourner à l’école. Il a obtenu le Bac pro avec mention bien. C’est aussi au lycée qu’il rencontrera Alexandra et qu’ils continueront leur scolarité ensemble. Ils finiront majors de leur promo.

Alexandra (photo du haut) vient d’une famille kabyle, d’une ville située à environ une heure et demie de route de Bejaïa et a grandi à la cité Soubise, à Saint-Ouen. En cours d’année de sixième, elle quitte le collège de Saint-Ouen et se trouve propulsée à Paris dans un collège privé catholique. Elle s’adapte au nouvel environnement social et culturel, au début avec du travail, de la volonté et de l’acharnement : le niveau scolaire est bien plus élevé et la fréquentation diffère grandement du collège de Saint-Ouen. Mais comme une gymnaste surentraînée ou un caméléon, la jeune fille s’est faite à son nouvel environnement et passe désormais d’un milieu à l’autre sans coup férir.

Malgré la désapprobation de ses professeurs, elle choisit de faire une 1ère STT puis passe son bac sereinement. La révélation se produit après l’obtention du sésame pour le supérieur : enfin elle peut se consacrer à sa passion, l’entrepreneuriat ! Comme pour Julien, ses parents ne voient pas cela d’un bon œil : comment se fait-il, après six ans d’études, qu’elle ne travaille pas pour l’Oréal ou Danone ?

Alexandra fait un peu comme ses parents. Son père, un « serial entrepreneur » a créé un grand centre de formation à la conduite à Aubervilliers (93) avec sa mère et a toujours deux ou trois projets sur le feu en même temps. Et puis aussi, elle a choisit de ne pas avoir de chef mais des associés. Le marketing est sa spécialité. Elle nous raconte que « ça se passe très bien avec les garçons, on est solidaires, ils ne me protègent pas et d’ailleurs je ne le voudrais pas ; quand j’ai une chose à dire ils m’écoutent car j’ai fait mes preuves ».

Parfois, pour la charrier, les garçons la surnomme « mon lieutenant », cela fait référence à quelque chose de bien précis : c’est une maniaque de l’organisation, elle frôle la névrose, reconnaît-elle, et inculque à ses associés masculins une certaine discipline dans ce domaine… Un élément fondamental pour que leur projet fonctionne. Alors, entrepreneurs, surveillez le web, il va bientôt s’adresser à vos oreilles !

Juliette Joachim

Juliette Joachim

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