Le maire du 17e arrondissement Brigitte Kuster, l’adjoint au maire chargé du commerce Geoffroy Boulard ou encore Aziz Senni, entrepreneur et écrivain, tous étaient présents à l’inauguration de sa boutique de déménagement. Un petit magasin de 25-30 m2, à la peinture orange vif et chaleureuse, étroite mais bien agencée pour pouvoir y disposer des matériaux utiles au déménagement. Assez de place également pour un petit comptoir derrière lequel travaillent d’habitude ses deux employés et sa stagiaire. Mais ce soir, sushis et petits fours occupent la place.

Massoud a le sourire. Il trouve sa boutique « magnifique » et se rappelle que lorsqu’il en a reçu les clés, ce fut « un moment extraordinaire ». Jamais il n’aurait imaginé en arriver à ce stade si vite. Quand il a commencé ses études supérieures, tout ce qu’il savait c’est qu’il voulait faire du « business », mais il ne pensait pas pouvoir créer sa boîte aussi vite : « Je me disais que c’était impossible. Je pensais qu’il fallait avoir trop d’argent, trop de connexions. Une seule chose était sûre, j’allais mettre un costard cravate et travailler. » Mais il ne savait ni où, ni pour qui. Aujourd’hui c’est pour lui qu’il travaille, et il peut même se permettre de venir en jean quand ça lui chante.

Diplômé de l’EDC, Ecole des dirigeants et créateurs d’entreprise en 2009, le jeune homme d’origine iranienne a pu réaliser son projet professionnel grâce à l’aide obtenue en remportant le concours « Envie d’Agir ». L’idée de créer son entreprise germe alors qu’il est en master. Pendant ses études supérieures, l’étudiant boursier a pris l’habitude de travailler durant l’été et parfois pendant l’année, dans une entreprise de déménagement à Paris, en tant que déménageur puis commercial. La société où il avait l’habitude de travailler va fermer, il est embêté car il comptait bien y travailler l’été prochain. Mais, déjà bien organisé, il prend soin de garder tous les contacts de ses anciens clients, dont certains continuent de le solliciter.

Son camarade de classe et voisin de cité U, Zafar Baryali, est lui un fin connaisseur d’internet. Les deux compères, à la fibre entrepreneuriale et étudiants en finance, vont alors tenter de créer leur propre boîte de déménagement. Ils savent que pour avancer, le réseau est nécessaire. Ils s’adressent alors à l’association des Jeunes entrepreneurs de France, présidée à l’époque par Aziz Senni. Ils ont aussi frappé à la porte de la MEF (Maison de l’emploi et de la formation) de Nanterre. C’est alors qu’ils entendent parler du concours du Ministère de la jeunesse et des solidarités actives, et se lancent dans l’aventure. Une aventure qui demande beaucoup de temps et d’énergie. Massoud raconte qu’il a failli abandonner plus d’une fois. Il faut trouver des soutiens financiers et remplir « une tonne de paperasse ». Mais le travail vaut le détour, à la clé : une belle enveloppe de 5000 euros.

Le concours a lieu en décembre 2008. Lui et son camarade présentent leur projet devant un jury composé de personnalités du monde de l’entreprise. Les résultats de la vingtaine de lauréats tombent en janvier 2009. Pour les deux amis, l’année commencent bien. Massoud devient le gérant de l’entreprise, Zafar aujourd’hui son associé, a eu d’autres impératifs. Ce qui a sûrement convaincu le jury et ce qui suscite aujourd’hui l’intérêt de la mairie du 17e, c’est l’engagement « solidaire et citoyen » de l’entreprise. C’est, disent-ils, la première société de déménagement « éco-responsable » à Paris et en région parisienne. Baptisée Aquadéménagement, elle reverse à chaque déménagement un euro à une association écologique qui parraine la plantation d’arbres, à Madagascar ou encore au Mali.

Geoffroy Boulard, l’adjoint au maire chargé du commerce, a été intéressé par cet aspect. Il rappelle que l’arrondissement est l’un des plus dynamique de Paris pour la création d’entreprises (2100 créations d’entreprises par an), il est donc souvent sollicité. Mais cette fois, le côté citoyen et pratique de la société l’a interpellé. Le jeune patron propose en effet de racheter pour dix ou vingt centimes d’euros les cartons de ses clients pour les recycler. Il utilise également des bacs en plastique au lieu de cartons, pour certains déménagements. L’idée, il l’a eue en passant devant un supermarché et en voyant les bacs utilisés pour livrer les courses à domicile. Plus écologiques selon lui, et plus économiques.

Car au final, ce qui est important pour le jeune entrepreneur c’est bien de développer son entreprise et son chiffre d’affaires. Massoud a compris que l’écologie c’était « l’avenir », mais aussi un bon filon pour se démarquer. Il n’a jamais eu une conscience verte très poussée, mais il sait qu’innover, est la clé de la réussite. Les cours d’économie sur Schumpeter (économiste autrichien du XXe siècle pour qui l’innovation impulse le système économique, l’entrepreneur étant à la base de cette innovation) ne sont donc pas passés à la trappe…

Et la stratégie de Massoud a payé. La société est officiellement créée fin mai 2009. Première étape franchie mais c’est aussi « le début de la galère ». Il commence par travailler chez lui et loue ensuite un bureau à Paris. Il fait appel à des déménageurs qu’il connaît. Le « timing » joue en sa faveur, l’été arrive, période où les déménagements sont nombreux.

Et la saison est en effet très fructueuse. Le chiffre d’affaire de l’entreprise pour mai 2009-mai 2010 est de 50 000 euros de plus que ses prévisions initiales. En novembre dernier, le jeune patron embauche deux commerciaux ainsi que trois déménageurs. Dans ses recrutements, il tient à aider des personnes éloignées du marché de l’emploi : « Ça me tenait à cœur de prendre des gens qui avaient du mal à trouver du boulot. » La stagiaire, elle, vient de l’EDC. C’est la consécration, il devient patron et peut s’acheter une boutique dans les beaux quartiers de Paris quelques mois plus tard, beaucoup plus tôt que prévu. Là aussi, les proches sont de la partie. Son oncle aide aux travaux et un ami de l’Ecole réalise le design de la vitrine.

Massoud confie à l’adjoint du maire chargé du commerce qu’il y a quelques mois encore il n’aurait « jamais imaginé pouvoir acheter dans un tel quartier ». Monsieur Boulard salue cette réussite, c’est « un exemple de méritocratie ». Le jeune homme a grandi à Dijon dans un milieu modeste, avant de venir s’installer à la cité universitaire de Nanterre à 18 ans pour poursuivre ses études.

L’adjoint note que la réussite de cette entreprise tient aussi à la communication très stratégique des deux associés.  Il l’a décrit comme « offensive, mais dans le bon sens du terme ». Ils n’ont pas hésité à contacter le maire et même le député pour se faire connaître. Ils se sont aussi bien informés. L’entreprise est implantée dans une rue plutôt enclavée, mais à proximité de la ZAC de Clichy-Batignolles, une zone stratégique où des centaines de logements devraient être construits d’ici 2015.

Dans son bureau situé au fond de la boutique, où le prix Envie d’Agir est accroché au mur, Massoud confie que sa réussite est encore fragile et qu’« il y a de nombreuse périodes où tu te remets en question ». Selon le jeune homme, le plus fatiguant c’est de « gérer une équipe, de réussir à satisfaire tout le monde. Parfois on ne sait pas trop comment s’y prendre, l’important c’est d’être crédible ». Quand on lui demande ce qu’est la bonne définition d’un patron, il répond : « Si seulement je le savais ! Mais peut-être que je devrais être plus dur. »

Sa réussite lui a ouvert d’autres horizons. Le maire de Nanterre l’a par exemple invité en avril dernier à aller au théâtre voir « Une maison de poupée » avec Marina Foïs. Comme il l’avait écrit sur son Facebook à l’époque, ça le change « des soirées ligue des champions ». Il a aussi participé à une soirée organisée par Ipsos, en partenariat avec Les Echos, pour recueillir les réactions d’une dizaine d’entrepreneurs, suite au Salon des entrepreneurs. Son statut social a évolué mais pour lui hors de question d’être érigé en symbole de la réussite : « Je ne me prends pas pour un exemple, je suis encore à l’étape où j’ai tout à prouver, on peut se casser la figure n’importe quand. »

Le prochain objectif de Massoud est de créer une association pour aider les jeunes dans leur création d’entreprise. Selon lui, des talents sont souvent gâchés par le manque d’expérience de certains lorsqu’ils se présentent à la porte des banquiers. Il affirme qu’« avec peu de choses, on peut rendre un dossier béton ». Un bon entrepreneur doit avoir « beaucoup de motivation, être têtu, en vouloir et bien s’entourer, car le réseau est essentiel. »  Avis aux amateurs….

Sonia Dridi

Sonia Dridi

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