Les fast-foods ont de toute manière mauvaise presse. Alors, une casserole de plus ou de moins. Moi, je suis plutôt pragmatique. Avant de me prononcer sur la dangerosité de ce type d’établissement, j’attendrai les conclusions de l’enquête sur les causes de la mort, samedi, de cet adolescent qui avait mangé la veille au soir dans un Quick du Vaucluse. Et j’applique à la lettre la maxime « ne pas céder à la panique ». Courage !

Ils sont réglés comme des pendules, tous habillés ou presque de la même manière. Ceux qui portent des cravates mènent la danse, haranguent leurs troupes avec une fougue incroyable. A droite, une femme, à l’allure quelconque, tient un chronomètre et chuchote à l’oreille d’un homme vêtu d’un costume. Quelques mots à peine perceptibles fusent au comptoir tandis que la foule de clients perçoit la tension dans les cuisines, desquelles s’échappent les cris d’un gros bonhomme. Ça se passe comme ça chez le Mc Donald’s, Place de l’Etoile, à Paris.

Premier enseignement : les polémiques font jaser les foules mais « l’antre de Ronald » ne désemplit pas. Dans la file d’attente, je suis coincé entre une dizaine de carnassiers qui ne me feront aucun cadeau. Je suis paranoïaque sur les bords et si mon état s’est amélioré avec le temps, le décès du jeune garçon me trotte dans la tête. L’odeur qui provient des poubelles m’est de plus en plus insupportable. Un problème de carte bancaire paralyse le service et je me rends compte que mon voisin de file bougonne des choses peu aimables. Un employé passe la serpillière et je le suis du regard. Et s’il retournait directement en cuisine sans se laver les mains ? Le scénario est probable mais je mange ici depuis des années. A part ma petite brioche au niveau du ventre, aucun souci notoire. Je suis en pleine forme.

Deuxième enseignement : ma paranoïa n’est décidément pas guérie. Comment des gens dont le souci premier est la rapidité peuvent-ils se soucier du bien-être d’un client ? Le préposé aux frites ne porte pas de filet sur la tête. Au moindre cheveu dans ma barquette, je dépose plainte. Une sorte de procès à l’américaine où je simulerai un préjudice moral. Millionnaire grâce à un cheveu. C’est un moyen comme un autre. Un homme de petite taille surgit de nulle part et donne de la voix. L’incident est réparé. En deux coups de téléphone et quelques fils trifouillés à la va-vite, il a réglé le problème et remis la machine en branle. Mon voisin bougonne toujours. Là, j’ai entendu : «  P******, c’est toujours la même chose ici. » Mais si c’est toujours la même chose, pourquoi reviens-tu toujours ? C’était la minute philosophique.

Troisième enseignement : les visuels donnent faim. J’étais parti pour un Filet et un petit Coca. Je repars avec un plateau garni parce qu’une fois de plus j’ai craqué. En m’installant, je m’interroge. Et si le poisson était avarié ? Et si le pain doré était en fait périmé ? Et si l’employé était allergique à l’eau et ne se lavait jamais ? Au prix où j’ai payé, je n’ai pas le choix. Pas le temps pour les regrets. Je mange d’abord, je réfléchirai après. Les yeux rivés sur le décor new-look, je médite sur mon addiction. Combien de fois ai-je demandé à ma mère de me faire les mêmes frites qu’au Mc Do (quand elles sont chaudes) et combien de fois a-t-elle échoué ?  Il y a un truc, c’est sûr. Ils sont trop forts. Oui, je m’incline. C’est un honneur de perdre face à un tel adversaire.

Quatrième enseignement : alors que la sauce aux concombres dégouline sur mes lèvres, je suis pris dans un tourbillon de réminiscences. Je me souviens d’une de mes crises de « paranoïa alimentaire ». A l’époque, je faisais une fixation sur la vache folle. Alors, comme la faucheuse s’était déguisée en steak, j’ai pris pendant un mois des mesures drastiques. Plus de bœuf dans mon assiette. J’ai donc inauguré quelques recettes assez inédites, comme le couscous sans viande, sûrement une de mes plus belles trouvailles. J’avais presque fini de convaincre ma mère, qui commençait à se poser des questions. Jusqu’à ce qu’elle demande à mon père de « freiner » sur les achats de viande de bœuf. Sacrilège. Il en est amoureux.

Alors que je tentais de lui expliquer les caractéristiques biologiques de la maladie de Creutzfeldt Jakob, je vis sa main se raidir, signe que l’atterrissage sur ma joue était imminent. Parce que je ne suis qu’un être humain et que dans certaines situations il est tout à fait normal d’avoir peur, j’ai promis d’arrêter de semer la psychose. Deux semaines après, Ramsès « le prédateur » était de retour.

Moralité : les parents ont toujours raison. J’entends encore mon père me dire, avec son tact légendaire : « De toute façon, on va tous crever. » Au moins, c’est dit.

Ramsès Kefi

Les articles du Bondy Blog sur les fast-foods :

A-l’arrière-des-fast-foods
Le-messie-kfc-débarque-à-Bobigny
Mon-job-dans-un-fast-food : fast-and-furious

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