Pour le recrutement des caissiers employés libre-service, les critères de sélection seraient très stricts. Tout semble très étudié. Selon les témoignages, tout le monde ne peut pas être embauché au poste de caissier au sein des magasins de ce hard discounter. Des profils de poste seraient spécialement élaborés pour un recrutement optimal. Au cours des sessions de formation, les futurs responsables de réseau apprennent à sélectionner le salarié idéal. « Pas d’étrangers avec des titres de séjours précaires ; cela engendrerait trop de paperasserie et les personnes devraient s’absenter le temps du renouvellement. Nous devions également préférer les personnes qui avaient déjà occupé des emplois pénibles comme la restauration rapide ou la manutention en entrepôt», assure Charles*, ancien responsable de réseau dans les Hauts-de-Seine. « On nous demandait, poursuit-il, de privilégier les femmes aux hommes car ces derniers auraient davantage tendance à piocher dans le magasin ou dans la caisse.» Pour Lidl, la situation de famille serait également un critère de sélection : « Les femmes célibataires sans enfants étaient très recherchées car elles pouvaient rester un peu plus au magasin et ne s’absenteraient pas très souvent » résume Charles.

Ces consignes biens particulières, ne se ferait qu’à l’oral. Par précaution, pas d’adresse électronique ou au compte-gouttes. «Ils ont trouvé un bon moyen de ne laisser aucune trace» affirme Sonia*, ancienne responsable de réseau à Paris. Les rares qui en ont fait la demande, ont dû attendre plusieurs années et signer de nombreux documents garantissant la confidentialité avant d’obtenir une adresse professionnelle. « Sur l’ensemble de la direction régionale de Barbery en Picardie, seule trois adresses électroniques ont été créées » assène Charles.

« Malgré nous, nous discriminions à notre tour. Nous obéissions aux ordres. C’était le cas lorsqu’il a fallu mettre fin au recrutement de salariés étrangers titulaires d’un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale »», regrette l’ancien responsable. Sonia précise : «Depuis début 2010, dès que le service des ressources humaines constatait qu’il s’agissait d’un titre de séjour ‘vie privée et familiale’, on nous demandait de rompre le contrat de travail au plus vite. A l’annonce de leur licenciement, les employés pleuraient, suppliaient. Ils avaient besoin de cet emploi et me demandaient des explications ».

Des explications pour justifier un licenciement ? Lidl se serait chargé d’enseigner à ses jeunes recrues comment en fabriquer. «On nous demandait de piéger les employés et d’accumuler les preuves contre eux», rapporte Charles. Et pour se faire, « la procédure dite du ‘’Caddie test’’ fait partie des outils mis à notre disposition». L’employé est alors soumis à un contrôle visant à vérifier s’il respecte parfaitement les procédures caisse. Sur les 11 points de contrôle, le salarié doit en respecter 10 pour pouvoir réussir le test. « Difficile pour une personne en poste depuis 4 jours de ne rien oublier et de retenir par cœur les 70 codes du rayon fruits et légumes» raconte Charles. Le temps de scan des produits était également pris en compte ; pas moins de 45 articles par minute et 30 secondes pour éditer le ticket de caisse,  encaisser et rendre la monnaie. « Sans oublier de replacer quelques articles dans le Caddie et dire au revoir au client » sourit Charles, amer .

Selon cet ancien cadre, chaque responsable de réseau avait l’obligation d’effectuer des contrôles d’un genre particulier. Dès que les employés étaient hors de vue, « je fouillais dans  leurs sacs et le coffre de leur voiture. Je vérifiais également les bacs à ordures afin de m’assurer si des produits n’y avaient pas été placés en vue d‘être récupérés plus tard. Les employés étaient constamment considérés comme des voleurs en puissance », explique Sonia.

Le mode de recrutement des responsables réseaux semble tout aussi original que celui de caissiers-employés libre-service.  Le profil idéal ? Avoir moins de 30 ans, n’avoir jamais travaillé, être diplômé d’une école de commerce, être célibataire, sans enfant et de préférence de sexe masculin. « On m’a fait comprendre que mon recrutement était une faveur que Lidl me faisait», témoigne Samir*, ancien responsable de réseau en Seine-Saint-Denis. « Il fallait que je m’estime heureux, car qui recruterait un jeune diplômé issue de la banlieue, à  43 000 euros par an avec un forfait repas de plus de dix-sept euros journalier auxquels s’ajoutent une grosse cylindrée allemande et l’ essence gratuite en illimitée ? »

«On vous recrute jeunes car vous êtes plus malléables et vous n’avez pas encore connu d’autres environnements professionnels. Vous n’êtes donc pas en mesure de comparer. Nous allons vous modeler à la Lidl » aurait dit Mme M., responsable Formation nouveaux entrants. « On a signé un pacte avec le diable. Dès que l’on en prend conscience, on quitte le navire » confie Charles.

Une fois recrutés, et malgré leur statut de cadre, tous les responsables de réseau semblaient loger à la même enseigne. «C’était épuisant d’être sans cesse rabaissé et humilié. Je me souviens avoir passé une partie de la nuit à quatre-pattes à gratter les vieux chewing-gums collés au sol parce qu’il y avait un contrôle du siège le lendemain matin » se rappelle Sonia.

« Nous étions taxés de fonctionnaires et de fainéants si nous faisions moins de douze heures de travail par jour ou si nous ne répondions pas aux dizaines d’appels téléphoniques les jours de repos », raconte Samir.

Des rythmes et une pression décrits comme insupportables, de nombreux cadres ont aujourd’hui quitté Lidl. Au cours des treize derniers mois, dix-huit des vingt-cinq responsables de réseaux de la seule direction régionale de Barbery ont démissionné. La tendance semble même avoir atteint les cadres supérieurs ; la responsable achat et le responsable entrepôt ont quitté la direction de Barbery il y a quelques jours.

Mona Choule

*Les prénoms ont été changés

voir aussi :

Mes années LIDL : «C’est à la limite du sadisme et du harcèlement moral »

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