La scène de l’Odéon et les balcons de la Comédie Française ont été le théâtre du mouvement « Nuit Debout ». Prises à partie par les manifestants, les salles ont annulé des représentations. Les manifestants soutiennent fermement les intermittents et condamnent les temples de la culture savante, mais pour combien de temps ?
Mohamed Elasri exerce depuis 25 ans son métier avec une passion débordante. Depuis 1993, il en a connues, des réformes. Tiraillés par le Medef et les politiques qui minimisent de plus en plus les écarts, les régisseurs se plaignent depuis longtemps. Dans les années 90, au lancement des formations par apprentissage dans des centres de formations spécialisés du spectacle, les écoles étaient extrêmement difficiles d’accès. Aujourd’hui, les passionnés peuvent bénéficier d’un système national d’apprentissage. De fil en aiguille, il a su s’accrocher aux câbles de la scène pour gravir les échelons. Il apprécie fortement les théâtres à l’italienne, en demi-cercle, pour ressortir les vieilles techniques. « J’aime avoir des systèmes d’assistance. C’est parce qu’ils sont ingrats que je les aime bien ». Cela fait 25 ans qu’il vit du monde des grands événements. S’est-il fait sa propre culture ? « Non, j’ai mangé celle qu’on m’a offerte ». Celui qui n’a jamais été en tournée en mode business est pourtant passé par les plateaux télé et les plus grandes scènes de l’audiovisuel. Mais le tape-à-l’œil ne lui convient pas. Il préfère le plateau du théâtre : « Il y a un contenu qui m’est accessible. Sans barrière de langue, je travaille d’une manière un peu plus linéaire. Je ne sers pas à grand-chose aux musiciens, alors qu’en théâtre je retrouve quelque chose d’un peu plus fusionnel ».
Le métier de régisseur dans son ensemble demande un réel souci d’organisation et de disponibilité. Le régisseur plateau travaille sur les équipements scéniques. Le régisseur lumière agit par rapport aux besoins divers en alimentation électrique. Chaque spectacle peut demander des projecteurs allant jusqu’à 600 kilos. Un système de levage permet d’équilibrer le tout. Le régisseur son accompagne le régisseur lumière dans l’installation. Les matériaux sonores, les enceintes par dizaines, sont disposés. Chaque chose a sa place, même les comédiens. Énormément de personnes sont concentrées dans un espace minime. En l’espace de 72 heures, il a fallu gérer 14 personnes, sans même savoir qui ils sont. Ils sont les passeurs entre le comédien et le metteur en scène. Lorsqu’ils partent en tournée, ils doivent restituer la même image. Sur un spectacle d’1h30, ils doivent reproduire 70 tâches sur un espace différent. Il est possible de faire une passation si on a en tête un projet plus important. Mais expliquer à un pair toute l’organisation de A à Z est difficile. « On est au service de ou on travaille avec » est la philosophie de cet homme polyvalent. Au-delà de l’organisation et de la disponibilité, les régisseurs s’impliquent physiquement et sur de longues périodes. Exposés à une très forte luminosité, le cristallin passe son temps à ouvrir et à fermer. Il passe d’une obscurité à une luminosité très forte, sans protection. « Ce n’est pas un métier pour la santé ». Souvent confrontés à des poids importants, à une tension électrique conséquente à proximité, ils ont une lourde responsabilité en plus sur le dos, pour le bien du spectacle. Mohamed est ravi de me présenter sa collègue, la seule femme de l’équipe. La parité a encore du chemin à faire.
Pour mieux appréhender son métier, on fait le tour du théâtre de Montreuil. On entre dans le repère au sous-sol, loin des regards. On y trouve tout le matériel nécessaire. Des rayons et des rayons d’enceintes sont répartis. Les pendrillons jalonnent sur les étagères. Lourds, assez larges (9,60×4,20 mètres) , ce sont les rideaux qui séparent les coulisses de la scène, disposés sur le côté. Le régisseur plateau peut se retrouver sur scène grâce aux différents pendrillons disposés. Les câbles par centaines connectent les magies du spectacle. On monte sur scène retrouver les autres régisseurs, déjà au travail. Au loin, la scène leur appartient d’autant plus sans les comédiens. Et ce n’est pas tout. Ils doivent gérer plusieurs espaces en même temps.
On gravit les étages pour nous retrouver au gril. C’est le plancher à claire-voie au-dessus de la scène où sont installés les poulies de renvoi des fils des équipes. Il est préférable de ne pas avoir le vertige. Un étage plus bas se trouvent les derniers réglages. On retourne sur scène. En face de nous, on imagine la régie son et lumière aux commandes. Près des touches, on visualise les spectacles. Les touches bougent seules dans nos imaginaires. Comme si on y était. Non loin de là, l’atelier est vide mais intriguant par les quelques objets inanimés répartis sur la table. C’est l’atelier des métiers en perdition. Lorsqu’un décor est touché, il est soigné à l’atelier. La costumière suit de loin ce qui s’y passe. Elle est attachée au théâtre. De nombreux spectacles ont leur costumière par interim et non du début à la fin. De nombreux théâtre n’ont plus leur costumière, leur perruquière, leur fraisier attitrés. Les métiers de repasseur de fraise et de chapelier ont disparu.
Un peu plus loin, les bureaux de la direction sont remplis de plans et de contrats. Le régisseur lumière s’occupe en choisissant les gélatines, les filtres, pour les projecteurs dans le petit coin qui lui est dédié. Les couleurs sont universelles. Elles sont indiquées par un numéro. Que va nous apprendre l’arrivée de la technologie ? Une diversité grandiose !
Yousra Gouja