Yes ! Mon premier entretien pointait le bout de son nez. Il était attendu comme le messie. Je n’ai même pas songé à le préparer car je ne savais pas qu’un entretien ça se préparait comme un examen. Mon père, quand il cherchait du travail, il démarchait les chantiers et demandait du travail. Rien de plus simple. Et ça marchait pour lui.
Je n’avais même pas de tailleur. Mon père ne comprenait pas pourquoi je devais acheter un costume (comme il dit) pour chercher du travail. Avec mes 46 kilos toute mouillée (à l’époque), je n’en trouvais pas à ma taille. Enfin j’ai fini par en dégoter un dans un magasin cousin germain de Tati. Vous savez, celui qui est jaune et noir…
Quand aux chaussures, j’en avais de toutes sortes, des vertes, des jaunes, des rouges, mais toujours à talons. Une paire avait ma préférence : celle avec 12 cm et plus ! De vraies chaussures de drag-queen. Elles me donnaient de l’allure, me grandissaient, me sublimaient… Entre les talons et moi, c’est une histoire d’amour qui dure, qui dure, mais qui me fait souffrir, souffrir…
J’ai osé me rendre à cet entretien avec ces chaussures de drag-queen. Quand j’y repense, j’ai honte. C’était une association d’aide à des victimes qui cherchait un juriste. Je déambulais dans les rues de ma ville tel un travesti qui s’est échappé de chez Michou. Des ouvriers me sifflaient. C’était la totale. Durant l’entretien mon recruteur me fit rapidement comprendre que je n’avais pas le profil car trop jeune, trop inexpérimentée, trop femme, et blabla et blabla. Mes chaussures n’allaient pas arranger les choses. Il préférait à ce poste UN HOMME. Qui en impose.
Un autre entretien restera longtemps gravé dans ma mémoire. C’était chez un notaire, la première fois que j’en rencontrais un. Les seuls que je connaissais avaient pignon sur rue dans les romans du 19e. C’était un monsieur très austère et très gris. Quand ce monsieur du siècle de Balzac me demanda quels étaient mes loisirs, j’ai répondu sans réfléchir : « Rire – Oui, c’est-à-dire ? – Eh bien, euh, j’adore rire et… et… euh… j’adore écouter Laurent Ruquier à la radio. Voilà, j’aime rire, c’est mon hobby. Le rire c’est ma passion. Vous comprenez. » Je me suis bien enfoncée. Il a mis fin aussitôt à notre entrevue.
Un autre notaire m’avait également reçue en entretien. C’était dans un immeuble ancien qui avait l’air de sortir tout droit du moyen-âge. Il m’avait demandé mon signe astrologique. Déstabilisée dans un premier temps, mais vite amusée, j’ai répondu « vierge ». Les gens bizarres m’amusent, m’intriguent, ils illuminent la grisaille ambiante. Soudain, son visage s’éclaira, car lui aussi était né sous le signe de ma bienfaitrice. J’avais marqué un point.
Ensuite arriva la question fatidique : « Pourquoi vous avez choisi de vous adresser à mon cabinet ? » Qu’allais-je répondre à cela ? Dire la vérité et lui révéler que j’avais écrit au hasard à plusieurs notaires. Non. C’était trop cruel pour son amour propre. C’était surtout trop compromettant pour mon avenir chez lui. J’avais beau être gentille, je n’oubliais pas mon intérêt. Le flatter en lui disant que son cabinet m’inspirait grandement ? Ce n’était pas crédible. Il était peut-être bizarre, ce monsieur, mais pas débile. Un notaire, tout de même.
J’ai répondu du tac au tac : « Parce que j’aime tout simplement votre quartier. » Sur ce, il se mit à rire et me dit : « Vous avez de la répartie, vous êtes drôle, vous êtes engagée. »
Tassadit Mansouri