Après les huissiers, ce lundi 15 septembre, c’est au tour des notaires de descendre dans la rue aujourd’hui pour s’opposer au projet de réforme lancé par le ministère de l’Economie. La volonté de libéralisation de la profession effraye les officines, mais pas forcément les aspirants.
Ce mercredi 17 septembre 2014 et pour la première fois en France, les notaires se mettent en grève. Quelques 9.500 notaires et plus de 48.000 collaborateurs contestent une décision du gouvernement. Car Emmanuel Macron, actuel ministre de l’Économie, compte mener à bien une réforme esquissée par son prédécesseur Arnaud Montebourg: s’attaquer aux monopoles des professions juridiques, les rémunérations de ces dernières étant jugées trop importantes. La Commission européenne estime quant à elle qu’abolir ces monopoles stimulera la compétitivité et permettra d’offrir au consommateur un choix plus large et moins cher. Mais derrière le rideau, les témoignages sont tout autre… Et plutôt frappants. La nouvelle génération de notaires semble peu s’émouvoir de l’actualité, tant les conditions d’exercice du métier semblent être bafouées.
Égypte Antique, Moyen-Âge, les prémices du métier de notaire remontent très loin. Véritable lien entre le peuple et les souverains, le notaire, officier public mais représentant de l’État, a toujours eu une place stratégique dans la société. En France, sous l’Ancien Régime, les notaires étaient regroupés en plusieurs catégories distinguées par leurs attributions spécifiques. La vénalité et l’hérédité des offices remontaient au XIIIe siècle. Mais à partir de la Révolution, la vénalité des charges et le caractère héréditaire des offices sont abolis par en 1791. La profession est alors administrée par l’État, la fonction étant assurée par les « notaires publics ». Pour autant, la profession ne semble par avoir complètement perdu cet aspect héréditaire… Une absurdité que dénonce Aurélie : « lors d’un entretien, on m’a demandé quels étaient mes loisirs, si j’avais un psy… Alors qu’un ami m’a dit qu’au même entretien les questions étaient portées sur son père…notaire« . Et le favoritisme débuterait très tôt : « dès la formation« , précise cette ex-notaire, sortie en courant de « ce milieu pourri« .
Cette formation est composée de deux voies, permettant d’accéder au titre de notaire :
– la filière universitaire, soit au menu un master 2 dans une université ayant passé une convention avec le Centre national d’enseignement professionnel notarial (CNEPN). Cette étape, parallèle au stage en office, débouche sur le diplôme supérieur de notariat (DSN) et le titre de notaire assistant. Une vingtaine d’universités préparent au DSN.
– la voie professionnelle, qui passe par un centre régional de formation professionnelle notariale (CRFPN). Ces centres sont accessibles sur examen après un master 1 en droit. Ils délivrent en un an et 2 mois de stage le diplôme d’aptitude à la fonction de notaire (DAFN) ainsi que le titre de notaire stagiaire. Il faut ensuite effectuer un stage de deux ans en office. Après un rapport, le notaire stagiaire est reçu notaire assistant.
Par ailleurs, une passerelle permettrait aux clercs de notaires d’entrer dans cet univers. Bon nombre s’accordent à dire qu’il existe un dédain certain entre les personnes issues de la filière universitaire et celles qui ont dû emprunter la voie professionnelle. Par ailleurs, le DSN s’obtient après la validation de deux ans de stage… « Qui se trouvent facilement quand un parent est notaire. Pour les autres, c’est le parcours du combattant« , détaille Aurélie. Elle admet volontiers que c’est sa débrouillardise qui l’a sortie de cette période infernale de distribution de CV pour presque aucun retour. « Le népotisme commence très tôt en notariat« , conclue-t-elle.
Autre notaire en herbe, autre type de discrimination : un étudiant qui avait envoyé son CV à une étude sous le nom de « Mohammed » n’a jamais été recontacté, tandis qu’avec le nom de Benoit de-Je-Ne-Sais-Quoi l’étude avait déjà commencé à composer son numéro dès la réception du CV. Une candidate aurait quant à elle été refusée en stage pour le simple fait qu’elle était enceinte au moment de l’entretien.
« Pendant mes études, j’étais réellement motivée » confie Isabelle. « Seulement, les profs ne nous disaient pas ce qui nous attendait par la suite. La difficulté à trouver des stages, le fait qu’être diplômés ne ferait pas de nous des notaires, que pour ouvrir une étude il faut passer un concours de création d’office et que cela est très compliqué… Que les notaires diplômés sont largement en surnombre par rapport au nombre de places proposées en tant qu’associés dans les études notariales… J’avais beau avoir trois longueurs d’avance dans mes démarches, cela m’a usée« .
Paul, notaire breton : « c’est vrai qu’il n y a pas assez de places pour s’associer. Le gâteau n’est pas partagé par suffisamment de monde. On devrait créer beaucoup plus d’études chaque année, ne serait-ce que pour bousculer certaines grosses études qui ronronnent tranquillement parce qu’il n y a pas de concurrence à proximité. Là-dessus, le notariat est trop conservateur, trop frileux. Oui, les collaborateurs sont mal payés, eu égard au bénéfice crée, aux efforts faits. Mais il ne faut pas oublier le côté ‘service public’ de la profession. Partout en France, même dans les coins les plus perdus, on peut trouver un notaire. Les conseils sont gratuits, on ne paye que les actes. La grosse différence avec les avocats, c’est celle-là. Autre point que je trouve intéressant : on dit du notaire qu’il est le ‘magistrat de l’amiable’ ou encore le ‘conseil désintéressé des parties’. La recherche de l’amiable entre les parties, plutôt que l’affrontement, le combat… Et puis perso, l’aspect ‘profession libérale’ est sympa… Être son propre patron, la rémunération avantageuse, la bonne rentabilité des études en général, il y a très peu de faillites !« .
Paul termine sur une note optimiste : « le notariat se modernise (signature électronique), se rajeunit, se féminise dans les postes d’associés. Il y aura beaucoup moins de notaires « véreux ». Bref, ça va vraiment dans le bon sens. Je pense aussi que les cessions d’études au sein d’une même famille relèvent plus d’un fantasme, que d’une vérité absolue (même si ça existe). Enfin, pas forcément besoin d’être super riche, d’avoir un apport monstrueux, pour s’installer. Les banques suivent (tant que les études seront rentables, en tout cas)« .
Un avis que rejoint Maryse : « tout d’abord, une partie de cette réforme est certainement largement insufflée par les avocats qui exerçaient, exercent ou qui exerceront après la fin de leur mandat politique ! C’est assez moche de retirer des emplois dans le notariat, pour les relocaliser chez les avocats et puis quels intérêts sinon de servir les leurs ! Surtout si les tarifs sont réglementés par l’Etat comme ils le sont déjà, ou sera la hausse du pouvoir d’achat… Enfin, si le numerus clausus doit être supprimé, plus vite ce sera fait, mieux ce sera… Parce que là, comment peut-on envisager d’acheter des parts dans une étude pour ne pas pouvoir rembourser son emprunt, ou alors six mois plus tard, parce que les méchants opposants aux notaires et Bruxelles auront obtenus gains de cause. Sans blague… Des études, un taf de fou et des préoccupations pour tes dossiers qui ne te quittent que rarement, des clients de plus en plus pressés, pour parfois avoir une impression d’être assimilée à des personnes profitant de la société ! Non mais eh ! Après c’est aussi vrai qu’il y a des notaires pédants… Comme partout ! Et qui ont aussi gagné beaucoup d’argent. Il convient toutefois de différencier ceux des grandes villes et la majorité dans les petites villes ou campagnes. Quant à la nouvelle génération… Je pense que la majorité des nouvelles promos se détache de l’image vieillotte du notariat. La profession s’ouvrant de plus en plus, les diplômés ne sont pas que des fils de. Et puis les jeunes (moins de 50 ans…) rendent beaucoup plus accessible le droit aux clients. Ils font moins ressentir la différence sociale car elle n’existe plus, bien souvent. Avant, les clients avaient à faire uniquement avec le notaire. Désormais, c’est surtout avec des employés ».
« Évidemment, poursuit-elle, nous n’avons qu’une fois la chance de faire une bonne première impression et dans ce milieu, il est plus raccord d’être ‘costume-cravate’. Cependant, je n’ai pas vu une seule étude où les notaires ne prenaient pas en compte le travail effectué, les compétences acquises et l’envie d’y arriver, sans tenir compte de l’origine sociale de l’élément. J’en suis la preuve aujourd’hui. En ce qui concerne la discrimination, si c’est pour l’accession à un poste d’associé, la situation est la même que dans le reste des autres domaines. Il faut apporter des plus-values techniques pour la société (pour être accepté par les autres associés), des relations et de l’argent. C’est certain que le ‘fils de’ va être plus avantagé par son réseau pour savoir qui part et être préféré mais il existe la création d’office et on peut trouver une étude sans relationnel. Pour l’argent, c’est comme n’importe quelle entreprise que l’on achète, donc forcément il faut un capital ! Et l’office ne peut pas ne pas tourner, il faut avoir ses réserves, cela fera mauvais effet si un officier public fait faillite… L’achat de parts est aussi un investissement et non un simple moyen d’exercer son métier. Mais franchement, je trouve vraiment que ce milieu n’est plus la caste fermée que l’on veut bien faire croire. Il y a du bon et du mauvais mais rien d’impossible. Encore aujourd’hui, je me suis dit que ce métier est super. Alors quand je serai grande je serai notaire !« .
Une petite dose d’optimisme que ne semble pas partager Emmanuelle, pour qui cette grève est tout ce qu’il y a de plus hypocrite : « voilà maintenant quinze jours environ que je vois mon fil d’actualité Facebook pollué par divers articles, photos, montages, slogans, acte de décès du notariat (!) et appels à la manifestation… Au départ, il s’agissait de mes ‘amis’ les plus virulents sur le sujet, les fils de notaire etc… Mais, très vite, le truc s’est répandu comme une traînée de poudre… Je me suis renseignée et… J’ai dû visiblement louper le paragraphe où le projet prévoit de dérèglementer la profession. Ce que j’imagine, c’est une éventuelle libéralisation, autrement dit un accès à la profession moins restreint car plus de numerus clausus mais toujours soumis aux titulaires d’un diplôme bac +8 comme c’est le cas actuellement. Mais en aucun cas la sécurité juridique et l’authenticité des actes ne sont remises en cause. J’ai du aussi zapper l’endroit où on explique que les tarifs vont augmenter. Selon moi, le projet implique la création de plus d’études… Donc plus de concurrence donc systématiquement la baisse des tarifs pour le client. En fait, ce que les notaires craignent réellement, c’est juste la baisse de leurs revenus ! Leurs honoraires, en résumé. Et il ne faut pas se cacher : les notaires gagnent des sommes astronomiques« .
Le pire, pour Emmanuelle, c’est « qu’ils versent des larmes de crocodiles auprès de leurs collaborateurs chaque fin d’année ! ‘C’est la crise vous savez… Moins de transactions patati-patata.. Nous même on a du mal à se dégager un salaire... ». La conclusion d’Emmanuelle est assez sévère : « c’est sans aucun doute la profession la plus radine qui soit !« . Salaires qui n’augmentent pas, petites mesquineries et manque d’humanité reviennent souvent. « Alors de là à parler ‘confraternité’ ! ».
D’ailleurs Emmanuelle est ferme, les grévistes d’aujourd’hui seront « des salariés qui suivent le mouvement tout en ayant l’espoir caché que les notaires pleurent un peu, des futurs notaires, récemment diplômés et ont l’espoir de s’associer dans un futur plus ou moins proches (soit parce qu’un bon piston les attend, soit parce qu’ils sont fils de notaires), de notaires très ambitieux, de peureux qui ne souhaitent pas se retrouver au chômage et de doux rêveurs« . Après une période de harcèlement moral, Emmanuelle n’a pas peur et ne mâche pas ses mots : « on aura toujours autant besoin de rédacteurs, de formalistes, de clercs habilités. Les gens se laissent manipuler par la crainte alors je suis certaine que le salarié lambda n’a rien à perdre« .
Si certains notaires de demain ont le cœur gros aujourd’hui, ce n’est vraisemblablement pas pour cette réforme, mais pour des conditions désastreuses qui ternissent jour après jour une fonction qu’ils ont pourtant aimé.
Pegah Hosseini