La première fois que j’ai vu cette foule de Chinois, c’était un matin à 7 heures précises. Incroyable, me suis-je dit, probablement allaient-ils travailler dans une grosse boîte qui apprécie tout particulièrement la main-d’œuvre chinoise. Curieuse, j’ai pris ensuite à plusieurs reprises le même chemin qu’eux, et à chaque fois, à 7 heures pétantes, ils étaient là, certains à vélo, d’autres sortant de bus, d’autres encore arrivant à pied. Le soir à 19 heures, pareil, ils reprenaient en sens inverse le chemin qu’ils avaient emprunté le matin. A vu d’œil, ils étaient au moins 50 à marcher dans les rues de Bondy.
Leur « cachette » ? Une usine de textile installée tout près de la mosquée de la ville et qui fait face aux Témoins de Jéhovah : plutôt sympathique comme endroit, mais peu discret. Je me dis qu’après tout, leur but n’est peut-être pas de se cacher. L’« usine » en question est plutôt grande, elle abrite semble-t-il des bureaux. Il faut être un peu curieux pour découvrir le pot aux roses : une petite annexe dans le fond, avec des fenêtres aux vitres floutées. Mais le jour où je suis passée, il faisait trop chaud pour les garder fermées.
A l’intérieur, il y avait presque une centaine de Chinois, bossant de 7 heures à 19 heures. J’ai eu l’impression de me retrouver dans « Le Procès » de Kafka, avec une immense salle où ils sont tous à travailler d’arrache-pied, sauf qu’ici les machines à coudre venaient remplacer les machines à écrire. Ils avaient l’air plutôt heureux, ces Chinois, le matin en allant au boulot, plus heureux que les travailleurs que je vois dans le métro.
J’ai mené ma petite enquête sur cette usine installée à Bondy depuis quelques années. J’ai d’abord eu un employé de l’entreprise au téléphone, qui m’a clairement affirmé que le lieu n’employait que « 15 personnes ». Aurais-je mal compté ? J’ai voulu m’adresser aux intéressés eux-mêmes. Je monte donc dans le bus avec eux un soir à 19 heures. Le bus est rempli des Chinois de l’usine. Je m’assois à côté de deux femmes d’une trentaine d’années, je les observe. Je n’ai que quelques minutes pour poser ma question avant la station Pablo Picasso à Bobigny, où ils descendront tous.
« Bonjour, vous travaillez dans l’usine à côté, c’est çà ? » Les deux femmes me fixent de leurs yeux. Ont-elles compris mes propos ? Me regardent-elles d’un air de vouloir dire « qu’est-ce que tu nous veux, toi ? » ? Pas de réponse. Je fais la fille compatissante : « Ce n’est pas trop dur ? » Des taiseuses… Soudain, l’une se retourne et me dit avec un français remixé à la chinoise : « Nous travaille bien, aime bien, pas dur. » C’est vrai, elles ont l’air d’aimer leur travail, elles rient. Je suis dupe sans l’être, et je me rends compte que la mentalité de ces Chinois est bien différente de la nôtre. A 7 heures du mat dans le RER, tout le monde fait la gueule, parce que justement, tout le monde va au taf !
Zineb Mirad