Le marché des faux ongles fait fureur à Paris. Les jeunes filles – et jeunes femmes – accros à cette mode lui consacrent un budget mensuel. Elles ne rateraient pour rien au monde leur séance manucure dans les « instituts » spécialisés en la matière, dans le quartier de Château d’Eau, à Paris. C’est dans ce fief de la coiffure afro que la plupart des salons ont créé des espaces dédiés aux faux ongles. Un très bon filon !

Si bon qu’il est difficile de délier les langues. Une forme d’omerta règne sur le marché du faux ongle ! « Mon patron n’est pas là » ; « Sortez, ici on ne parle pas ! » Pourquoi tant de mystère ? Au bout du quatrième salon, un patron accepte enfin de parler, mais c’est pour me dire : « Moi, j’exige seulement un droit de regard avant la publication de votre article. » Je le remercie et quitte la boutique rire aux lèvres – il s’y croyait vraiment, celui-là.

On l’aura compris, le commerce des faux ongles marche bien et rapporte gros. Bien souvent, les gérants que l’on trouve en boutique ne sont que des intermédiaires. Les vraies patrons – les boss – ne se montrent pas, ils gèrent tout à distance et prennent garde à ne pas attirer l’attention sur eux. Si les coiffeurs et coiffeuses sont en majorité d’origine africaine, les esthéticiennes chargées de la pose des faux ongles sont pour la plupart asiatiques, en particulier chinoises. Elles viennent en France suivre des formations intensives de manucure, parlant peu voire pas du tout français, ainsi que j’ai pu le constater. Dans les salons, il y a toujours une employée pour assurer la traduction. Beaucoup commencent à se poser des questions au sujet de ce commerce supposé lucratif, mais personne n’ose apparemment parler. Des filles ont une peur bleue de leur patron. Ma sœur m’a fait le récit d’une employée qui s’était mise à pleurer en pleine boutique suite aux remarques de son chef.

Après avoir fait tout le boulevard de Strasbourg, j’entre dans un salon. Il y trois ans, le patron y a installé un coin manucure-pédicure. « Les faux ongles, ça marche bien, surtout en été, parce que c’est là que vous, les filles, vous aimez vous faire jolie », dit-il en rigolant. Chez lui aussi, la préposée aux faux ongles est asiatique. Je me retourne vers le patron et lui demande : « Pourquoi avoir choisie une Asiatique ? Sont-elles vraiment les meilleures ou y a-t-il un autre avantage là-dessous ? – Sincèrement, répond-il, les Asiatiques, on les prend parce que les gens ne veulent qu’elles. »

Il poursuit ses explications : « Avant, ici, il y avait une Noire qui s’occupait de tout ça, mais personne ne voulait la laisser travailler. Les gens ont l’impression que le travail est toujours mieux fait par les Asiatiques. » Christelle, 24 ans, une adepte des faux ongles, confirme : « Oui ! Quand c’est les Asiatiques, c’est bien fait. » Mais c’est bien sûr : les Asiatiques sont minutieux pas nature…

Le prix, maintenant. « Trente euros la paire de faux ongles, ce n’est pas chère comparé aux instituts, où la même prestation peut valoir 40 à 50 euros de plus. Et au final, c’est le même résultat », constate Christelle avec satisfaction. « Moi, ajoute cette jeune fille, j’habite à Noisy-le-Grand et je connais plein de filles qui habitent encore plus loin en banlieue et qui font le trajet jusqu’ici sans problème. »

Le business tournant à plein régime, les patrons ne sont pas regardants du tout sur les risques sanitaires de cette activité, pour les employées comme pour les clientes. Or les produits utilisés pour la pose des faux ongles sont extrêmement chimiques. C’est le cas de la résine, par exemple, qui sert à l’imitation de la texture de l’ongle. Beaucoup sont celles qui finissent par avoir les ongles complètement bousillés.

Axelle Adjanohoun

Axelle Adjanohoun

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